Derrière ce qui est à l’évidence la chambre funéraire ils découvrent une autre salle, pleine d’objets étincelants. Le tombeau dévoile trésor après trésor. Une découverte sans précédent et, certainement, sans successeur.
Il ne faut pas longtemps à la presse anglaise pour se passionner pour cette découverte colossale. La nouvelle de la découverte de ces trésors antique se répand comme de la poudre et très bientôt, des dignitaires du monde entier se pressent pour visiter le tombeau, espérant tous le privilège d’une visite privée. À part quelques privilégiés qui ont pu faire jouer leurs connexions avec les découvreurs, tous doivent cependant se contenter d’admirer le tombeau depuis l’extérieur- un emplacement qui garantit déjà le spectacle, avec le ballet incessant des objets mystérieux qu’on en sort.
Le réveil de Toutankhamon n’a pas été des plus délicats. Pour l’examiner et lui enlever ses bijoux, Howard Carter et ses assistants l’ont écartelé, décapité, défoncé. Une insoutenable séance de torture. Carter a commencé par vouloir lui arracher son masque en or collé à la figure par de la résine durcie. Un couteau chauffé à blanc n’y parvient pas. Alors, ses assistants exposent la momie plusieurs heures au soleil pour tenter de ramollir la résine. Finalement, ils décapiteront le corps afin de mieux opérer. Pour récupérer les amulettes glissées dans le corps, la momie est ouverte au-dessus du pelvis, le sternum est sectionné et une partie de la cage thoracique découpée. On entreprend de couper les bras à la hauteur du poignet et du coude pour récupérer les bracelets. Lors de l’examen de la momie, le docteur Derry détache les deux jambes de la hanche puis les ampute au niveau des genoux et des pieds.
Au total, la momie est brisée en 18 morceaux! Quelques années plus tard, le pénis, un pouce et l’oreille droite du pharaon disparaissent. Les deux premiers seront retrouvés dans le sable sur lequel repose la momie.
Carter pénétra dans la salle du trésor le premier, notant la présence d’une brique d’argile dans laquelle était fichée une torche de roseau. Anubis, couché sur une chapelle et enveloppé d’une étoffe de lin, regardait l’intrus. Face à la porte, contre le mur le plus éloigné, quatre déesses en or tendaient les bras pour protéger le coffre à canopes où étaient préservés les viscères du roi. Elles étaient si naturelles et si vivantes, leur visage exprimait tant de sérénité qu’il osait à peine les contempler.
Coffres, modèles de bateaux, bijoux, matériel de scribe, éventail en plumes d’autruche, statuettes… le regard se perdait. Quand Lacau sortit, éberlué, Lady Evelyn rejoignit son père et l’archéologue. Carter, en déchiffrant les hiéroglyphes inscrits sur divers objets, identifia les noms des proches du monarque, notamment Maya, ministre des Finances et superintendant de la nécropole royale. C’était donc lui qui avait ordonné le creusement de la tombe à cet endroit et imposé le secret le plus absolu après avoir conduit les funérailles ! Maya le fidèle, dont Carter devenait le continuateur.
Décembre 1922 vit déferler des hordes de journalistes, d’érudits, de marchands et surtout de touristes. La tombe de Toutankhamon était un point de passage obligé ; il fallait contempler l’entrée et tenter d’y pénétrer. Dans le brouhaha, le tumulte et la poussière, on voulait parlementer avec Carter, l’interroger, être informé de la dernière trouvaille.
Dès les premières minutes du jour, les touristes arrivaient en charrettes ou sur le dos d’un âne et s’installaient sur le parapet de pierre que Carter avait fait construire autour de la tombe. Chacun prédisait à l’autre qu’un événement exceptionnel allait se produire, par exemple la sortie d’une statue en or ou l’apparition de la momie ; certains parlaient sans cesse, d’autres lisaient, d’autres encore se photographiaient avec la tombe à l’arrière-plan. Lorsque, Carter_. sortait à l’air libre, ils l’apostrophaient et devenaient presque hystériques ; plus d’une fois, l’archéologue crut que le parapet céderait sous le poids.
Chaque objet fut déposé sur une civière rembourrée puis attaché avec des bandages. Une fois par jour, un impressionnant convoi partait de la tombe de Toutankhamon et se dirigeait vers la tombe de Séthi II ; policiers armés et chaouiches munis de gourdins surveillaient les porteurs et tenaient à l’écart les curieux qui ne cessaient de prendre des photos. Des excités poussaient des cris et bousculaient les journalistes qui griffonnaient des notes. Irrité, Carter déplorait qu’on dépensât davantage de pellicule en un hiver que pendant toute l’histoire de la photographie ; à peine esquissait-il un geste, des déclics se déclenchaient.
Dès l’arrivée du précieux chargement, l’équipe agissait avec précision et rapidité. Numérotation, mesures, relevés des inscriptions, dessins, photographies : chaque œuvre était pourvue d’une fiche d’identité indispensable aux études futures. Puis elle était entreposée dans le fond du caveau avant d’être emballée en prévision de son transfert au Musée du Caire.
Le 11 novembre 1927, à 9 h 45, le docteur Douglas Derry, professeur d’anatomie à l’université du Caire, pratiqua la première incision dans les bandelettes de la momie de Toutankhamon, sous le contrôle attentif de Howard Carter, vêtu de son plus strict costume trois-pièces, agrémenté d’un noeud papillon de gala. Il avait exigé le plus grand respect et des conversations à voix basse ; Lacau, Burton, Lucas et de hauts fonctionnaires égyptiens, habillés à l’occidentale et la tête couverte d’un chapeau conique, assistèrent à la cérémonie qui se déroulait dans le couloir de la tombe de Séthi II.
Carter démaillota lui-même la momie, enveloppée dans treize couches de bandelettes qui évoquaient la voile de la barque sur laquelle l’esprit du ressuscité voguait dans l’au-delà. L’oxydation des sucs résineux et une utilisation excessive d’onguents, d’huiles saintes et de natron avaient brûlé le tissu et attaqué les os de la momie qui semblait carbonisée. En la dégageant, Carter constata qu’elle était enfermée dans une armure magique composée de cent quarante-trois bijoux répartis en cent un emplacements ; il dut parfois détacher au ciseau la couche d’argent durcie qui adhérait aux membres. Pectoral, diadème, poignard en or, gorgerin, bracelets faisaient du cadavre un corps d’or, de pierres précieuses et d’amulettes ; il ne s’agissait plus d’un individu, fût-il un monarque, mais d’Osiris reconstitué, garant de la survie des êtres initiés à ses mystères. Sous son cou, un chevet intrigua les observateurs ; sans nul doute, il était en fer, matériau rare en Egypte. En fer aussi, la lame de la dague au pommeau de cristal de roche et au fourreau d’or. Carter rappela que ce métal, aux yeux des prêtres, était d’origine céleste et permettait au roi de franchir l’espace qui le séparait des paradis.
Le corps de l’homme qui avait rempli la fonction de Pharaon n’était plus qu’une pauvre dépouille ; âgé d’une vingtaine d’années, il mesurait près de 1,65 mètre. Les parties de son cadavre se disloquaient. Des étuis en or protégeaient son pénis, ses doigts et ses orteils.
Un grand soin a été apporté à l’embaumement et à l’enveloppement de la momie. Ses membres et ses pouces ont été bandés individuellement, et des cales en or ont été placées sur les extrémités de ses orteils et de ses doigts.