Pour la propagande de l’Axe, le massacre de Katyn constituait évidemment une chance à ne pas laisser passer, une occasion de dresser les Alliés les uns contre les autres.
Le communiqué diffusé le 13 avril 1943 par Radio-Berlin jeta la consternation à Londres. Les Soviétiques étaient devenus, pour le meilleur et pour le pire, les alliés de la Grande-Bretagne, et il fallait faire table rase des sentiments personnels. Le 14 avril, on attendit toute la journée dans un silence fiévreux les commentaires de Moscou. Puis l’agence officielle soviétique Tass annonça, comme s’il s’agissait d’un fait indiscutable :
Les prisonniers polonais en question étaient internés au voisinage de Smolensk dans des camps spéciaux et employés à la construction des routes. Il fut impossible de les évacuer au moment de l’approche de la Wehrmacht si bien qu’ils tombèrent aux mains des troupes du Reich. Si donc on les a retrouvés assassinés, cela signifie qu’ils l’ont été par les Allemands qui, pour des raisons de provocation évidentes, assurent maintenant que ce crime est le fait des autorités soviétiques.
On doit se souvenir que tous les responsables soviétiques, du plus modeste à Staline lui-même, avaient toujours prétendu jusque-là tout ignorer des prisonniers en question. Malgré le scepticisme des dirigeants britanniques, la B.B.C. diffusa, le 15 avril, la déclaration officielle suivante :
Dans un communiqué diffusé aujourd’hui, Radio-Moscou nie catégoriquement et officiellement les informations propagées par les Allemands sur le prétendu assassinat des officiers polonais par les autorités soviétiques. Ces mensonges allemands montrent bien le sort qui attendait ces officiers que les Allemands employèrent en 1941, à des travaux de construction aux environs…, etc.
Le gouvernement polonais en exil à Londres fut horrifié par le crime de Katyn et abasourdi par ce qu’il considérait comme la perfidie d’un gouvernement britannique, au reste bien embar rassé. Les Allemands avaient demandé que des pays neutre envoyassent des délégations médicales à Katyn pour enquêter sur place. Le gouvernement polonais en exil se joignit aux Allemands pour réclamer l’envoi d’une commission par la Croix-Rouge inter nationale, et remit en même temps une note à l’ambassadeur soviétique (Maisky), réitérant sa requête en vue d’une information précise et détaillée sur tous les officiers polonais qui avaient été détenu par les Russes et déclarant que seuls les faits pourraient réfuter les terribles accusations lancées par les Allemands. Cette note ne reçu jamais de réponse.
Tandis que les médecins légistes neutres accomplissaient la sinistre besogne à Katyn, la Croix-Rouge internationale, en Suisse annonçait que, si elle agréait en principe la requête des gouvernements allemand et polonais pour une enquête impartiale, la coopération du gouvernement soviétique « en tant que partie intéressée » était indispensable. La réponse des Russes à cette invitation fit l’effet d’une bombe: ils rompirent brutalement toutes relations avec leurs alliés polonais sous prétexte que ces derniers se faisaient les « complices de Hitler », et ils installèrent un gouvernement polonais fantoche à Moscou.
Les experts ont décidé de procéder à l’autopsie de neuf corps qu’ils choisissent au hasard. Chacune des victimes a été tuée par un coup de feu tiré dans la nuque : la balle, entrée dans l’os occipital, est sortie par le front, « généralement à la limite d’implantation des cheveux et, dans quelques cas plus rares, plus bas sur le front. Les coups de feu ont été tirés, tous sans exception, avec un pistolet d’un calibre inférieur à 8 mm ».
Hallucinante, ici, la médecine légale : « A part quelques cas isolés, le trajet du projectile est toujours identique. La similitude frappante des blessures, comme l’emplacement de l’orifice d’entrée du projectile, circonscrit toujours dans un petit cercle dans le bas du crâne, démontre que l’exécution est l’ oeuvre de tueurs expérimentés. »
On constate que « les poignets d’un grand nombre des victimes sont liés par une cordelette ». Quelques-uns des officiers polonais portent la trace de coups de baïonnette. Les cadavres sont « couchés les jambes allongées, placées de façon méthodique ». Ils sont vêtus d’uniformes d’hiver : « Les uniformes dont étaient vêtus les cadavres, grands ou petits, étaient bien ajustés. Les sous-vêtements étaient boutonnés de façon normale, les bretelles des pantalons à leur place. La commission est arrivée à la conclusion que les victimes avaient été ensevelies dans les uniformes qu’elles portaient au moment de leur mort. » Ce que confirmera après la guerre le professeur Palmieri, expert italien : « La tenue des officiers était en vêtements de sortie, en excellent état. »
La Commission se fait également présenter des objets trouvés sur les corps : blagues à tabac, étuis à cigarettes, boîtes d’allumettes et de cigarettes, mais aussi lettres adressées aux prisonniers par leurs familles, carnets de notes et agendas couvrant la période de septembre 1939 à avril 1940. Le document le plus récent est un journal russe du 22 avril 1940. Le professeur Naville, expert helvétique, a fourni, après la guerre, une intéressante précision sur la façon dont, pour certains documents, la Commission a procédé : « Nous en avons prélevé et examiné ce que nous sortions nous-mêmes des cadavres. »
Constatation importante : « On n’observe nulle part de larves ni de traces d’insectes, ce qui permet de conclure que la mort et l’enfouissement remontent à une période froide de l’année. »
Un fait extra-médical a retenu l’attention de la Commission. Pour ouvrir les tombes, on a arraché les jeunes conifères qui avaient été plantés sur leur emplacement. Ils gisent toujours là, à côté. Selon un expert des Eaux et Forêts, ces plants ont été transplantés trois années plus tôt.
S’étonnera-t-on que les conclusions de la Commission aient été catégoriques ? « Les exécutions ont dû se produire dans les mois de mars à mai 1940 », ont déclaré les experts. Or, en mars, avril et mai 1940, la forêt de Katyn se trouvait sous le contrôle soviétique. Les Allemands n’y ont remplacé les Russes qu’à partir de l’été 1941. Tout confirmait donc le crime soviétique. Ce que l’Histoire a définitivement admis.
Les experts neutres en mission sur la Colline des chèvres avaient à peine terminé leur travail d’enquête et d’identification que l’on entendit au loin le grondement sourd de l’artillerie des armées soviétiques en marche. En hâte, on inhuma de nouveau les cadavres polonais et les Allemands quittèrent les lieux en désordre. Pendant quelque temps, le charnier demeura une sorte de no man’s land. Puis, en septembre 1943, les Soviétiques reprirent Smolensk ; Katyn et tous ses secrets se retrouvèrent en leur possession. Ils publièrent alors un long communiqué qui affirma catégoriquement que les officiers polonais étaient tombés victimes des bourreaux de Hitler.
Il faudra attendre, le 13 avril 1990, une visite officielle à Moscou du président Jaruzelski pour qu’une déclaration officielle de l’agence Tass reconnaisse enfin : « Les archives qui ont été retrouvées permettent de conclure à la responsabilité directe, pour les atrocités commises dans la forêt de Katyn, de Beria, Merkulov et leurs subordonnés. La partie soviétique, en exprimant son profond regret concernant la tragédie de Katyn, déclare qu’elle représente un des plus grands crimes du stalinisme. »
A peine la nouvelle connue, une intense émotion se lève à travers toute la Pologne. Ce n’est pas à proprement parler de la joie — la mémoire des victimes domine tout — mais quelque chose qui ressemble à un immense soulagement. Dans un communiqué officiel, le gouvernement polonais souligne que le mutisme de l’URSS sur Katyn représentait l’obstacle principal à des relations fondées sur « le partenariat et l’amitié réelle ».