L’arrivée du froid a deux effets contradictoires : il permet la reprise de l’offensive allemande, mais apporte de grandes contraintes aux assaillants.
La Wehrmacht resta bloquée, à patauger dans la boue glacée, pendant plus de trois semaines. Ce fut pour l’Union soviétique un répit inespéré. Avec une énergie farouche, le commandement et le parti multiplièrent les travaux de défense en avant de la capitale. Plus de 250 000 habitants de la région participèrent à la constfuction de retranchements, de barricades, de fossés antichars, de barbelés. Les usines fournirent des bataillons de travailleurs rapidement armés et instruits.
L’armée Rouge profita au maximum de la proximité immédiate de ses dépôts pour recompléter ses effectifs. L’aviation, grâce aux nombreux aérodromes de la région de Moscou. se manifesta de nouveau d’une façon efficace. Tous les jours, 100 à 120 trains acheminaient matériel et renforts à proximité de la capitale, alors que Bock ne disposait que de 23 convois au maximum. Enfin, rassuré sur les intentions japonaises, le commandement soviétique put rappeler une partie de ses divisions de Sibérie équipées et entraînées pour la guerre d’hiver. Vers la mi-novembre, le rapport des forces se renversa au profit des Soviétiques, notamment dans le domaine des chars et de l’aviation. Enfin, l’armée Rouge sut admirablement utiliser le terrain. Les grandes forêts de la région de Moscou constituaient de remarquables obstacles antichars et canalisaient la progression le long d’étroites clairières et de pistes forestières faciles à barrer par des mines, des blockhaus, des pièces d’artillerie habilement camouflées. Des unités légères d’infanterie ou de cavalerie se glissaient dans les bois à la faveur de la nuit et lançaient des attaques inopinées sur les flancs et les arrières des colonnes allemandes.
A l’O.K.H. ou au quartier général de Bock, une terrible angoisse commençait à régner. Le spectre de la Grande Armée se dressait devant les généraux. « Beaucoup, devait dire Blumentritt, commencèrent à relire les Mémoires de Caulaincourt et son sinistre récit de la campagne de 1812. Cet ouvrage eut une profonde influence à ce moment critique de 1941. Je reverrai longtemps Kluge, pataugeant dans la boue entre sa chambre et son bureau, venant contempler les cartes, le livre de Caulaincourt à la main. » Après avoir tant insisté auprès du Führer pour attaquer Moscou, il était difficile à Brauchitsch et à Halder de s’avouer vaincus en présence du but. De toute manière, il n’était pas possible de s’arrêter sur les positions atteintes. Si l’on renonçait à l’offensive, il fallait se replier sur les lignes de départ du 2 octobre.
Finalement, le 12 novembre, eut lieu, à Orcha, une conférence de tous les grands chefs du front de l’Est, sous la présidence de Halder. Malgré quelques réticences, comme celle de Liebonstein, qui représentait Guderian « Nous ne sommes plus en mai et nous ne combattons plus en France », il fut décidé de reprendre l’offensive et d’encercler Moscou par l’est coûte que coûte, ne fût-ce que pour répondre « aux vues du Führer », ajouta Halder, toujours prêt à tirer son épingle du jeu. Un élément paraissait d’ailleurs favorable. De jour en jour, le froid devenait plus mordant. La neige ne fondait plus. La boue se solidifiait, les routes se recouvraient d’une solide carapace. Chars, camions recommençaient à évoluer avec une relative facilité. Bock comptait sur quatre semaines de froid modéré pour mener son entreprise.
L’arrivée du froid a deux effets contradictoires : il permet la reprise de l’offensive allemande, mais apporte de grandes contraintes aux assaillants, ainsi que le note Joukov :
« Le temps froid commença dans les premiers jours du mois de novembre. les routes gelèrent et devinrent partout praticables. Nos entrepôts du front reçurent de grandes quantités de manteaux en peau de mouton, de bottes en feutre, de sous-vêtements chauds, de vestes capitonnées et de chaudes casquettes avec des protège-oreilles. A la mi-novembre, nos hommes étaient chaudement vêtus alors que les soldats nazis s’enroulaient dans des couvertures qu’ils avaient prises aux civils. C’est à ce moment qu’apparurent aux pieds de beaucoup de soldats allemands les horribles chaussures de paille qui leur rendaient la marche très difficile. »
Guderian se rend à plusieurs reprises parmi ses troupes peu avant la date de reprise de l’offensive. Ce qu’il voit ne peut que l’inquiéter : « Durant la matinée du 14 novembre, je visite la 167. I. D. et parle à nombre d’officiers et d’hommes. La situation des approvisionnements est mauvaise. Survêtements de neige, graisse pour les bottes, sous-vêtements et surtout pantalons en laine manquent cruellement. Une grande partie des hommes portent encore des pantalons de coton alors que la température est de – 40° ! A midi, je me rends à la 112. I.D. où j’entends la même histoire. Nos troupes ont réussi à se procurer des manteaux et des toques en fourrure russes; seul l’insigne national permet de les identifier comme des Allemands. Tous les stocks en vêtements de la Panzerarmee sont immédiatement envoyés au front, mais la pénurie est telle qu’ils ne représentent qu’une goutte d’eau dans un océan. »