Pour Hitler et son entourage, la prise de Moscou n’était plus qu’une question de quelques semaines.
Dans l’esprit de Hitler, la campagne de Russie n’était pas une guerre comme les autres, tendant simplement à la conquête de quelques provinces. C’était une véritable croisade, destinée certes à liquider le « péril rouge », mais surtout à donner à l’Allemagne un immense empire colonial.
Reprenant à deux mille ans de distance les méthodes des empereurs romains, le Troisième Reich, émanation suprême de la supériorité germanique, allait implanter en Biélorussie, en Ukraine et jusqu’aux approches septentrionales du Caucase, de puissants groupements de soldats-paysans qui dirigeraient, à la schlague au besoin, le travail des populations autochtones.
Là où les chevaux bardés de fer des chevaliers teutons avaient échoué, les chars de la Wehrmacht et les Stukas de la Luftwaffe devaient réussir. Hitler, désigné par la Providence, écrirait le dernier chapitre de la lutte séculaire des Germains contre les Slaves.
Ce projet, né d’un romantisme délirant, le grand état-major allemand s’était appliqué à le traduire en chiffres. Les experts calculèrent que, pour mettre l’U.R.S.S. définitivement à genoux, il fallait atteindre une ligne allant du lac Ladoga, dans le nord, jusqu’à la Caspienne, dans le sud, en passant par Moscou et Voronej.
Ce qui signifiait l’occupation d’un territoire comptant cent millions d’habitants, et où était concentrée la majeure partie de l’activité industrielle soviétique : 90 % de la production charbonnière et pétrolière, 80 % de l’extraction de fer et de manganèse, 75 % des usines d’armements. Sans parler des richesses agricoles que représentaient les terres noires de l’Ukraine.
Or, aux derniers jours de septembre, trois mois seulement après le début des hostilités, l’Allemagne semblait sur le point d’atteindre ses objectifs. Dans le secteur nord, la flotte soviétique était hors de combat, Leningrad étroitement investie ; dans le sud, la défaite totale du groupe d’armées Boudionnyl avait ouvert à von Rundstedt le grenier de blé ukrainien et la route du pétrole de Bakou.
Il y avait bien eu le contretemps de la bataille de Smolensk, défendue avec acharnement par Timochenko, et qui avait rempli pendant plusieurs semaines son rôle traditionnel de bouclier de Moscou. Mais dans l’ivresse des fanfares annonçant presque jour après jour une nouvelle victoire, cette bataille, la première à freiner sérieusement l’avance foudroyante de la Wehrmacht, passa presque inaperçue. Pour Hitler et son entourage, la prise de Moscou n’était plus qu’une question de quelques semaines.