Le 10 mai 1940 débute la bataille de France quand les troupes allemandes, après avoir envahi la Belgique, foncent sur Paris où elles entrent le 14 juin. Environ six millions de civils fuient vers le Sud. Aux 100000 soldats français morts pour freiner l’avancée ennemie, il faut ajouter les pertes civiles, plus difficiles, elles, à évaluer.
Notre départ pour l’exode. ce jour de 1940, est un de mes souvenirs d’enfance les plus vivaces. Nous étions tranquillement en train de dîner chez mes grands-parents, dans leur maison de l’Aube. Le repas n’était pas encore terminé que les adultes décidèrent de partir . Nous avons tout laissé : les asperges, les assiettes, notre maison, et ma grand-mère a ouvert la cage de ses chers les oiseaux.
Je ne me rappelle pas le motif de notre départ. Des espions allemands répandaient, je crois, de fausses informations, notamment à la radio, pour affoler la population. Ma mère y a été très sensible car elle avait été très marquée par les atrocités dont elle avait été témoin en 14. Un de ses oncles avait été fusillé sous ses yeux de petite fille de 4 ans.
Nous partîmes donc sur les routes dans l’auto familiale, avec ma mère, mes grands-parents et mon arrière-grand-mère. Ma mère conduisait. Nous étions régulièrement mitraillés sur la route, ce qui me remplissait de terreur du haut de mes 6 ans. On se jetait dans le fossé en priant : « Sainte Vierge, protégez-nous… »
Mais ce n’était pas la seule cause de notre effroi : il fallait passer devant les morts qui jonchaient le bord des routes. Dans un moment d’accalmie, une femme restée seule dans sa ferme, nous offrit le gîte et nous pûmes travailler dans les champs pour elle. Ce fut l’une des rares fois où j’éprouvai un sentiment de sécurité pendant notre périple. Une nuit, nous fûmes réveillés en sursaut par la fermière. Les Allemands étaient à l’approche. Il fallait reprendre la route. Nous passâmes la Loire à Orléans et, avec effroi, nous entendîmes le pont sauter juste après notre passage.
Nous apprîmes la signature de l’armistice en arrivant à Issoudun. Cela sonna la fin du voyage et nous pûmes repartir chez nous, à Romilly-sur-Seine. La maison foisonnait de soldats allemand& Ils y avaient établi leur QG. En arrivant, nous les avons découverts dans notre salle à manger, en train de sabler le champagne. Moi, je ne fis attention qu’à une seule chose : mon nounours, qu’on m’avait interdit d’emmener. Il était là ! Hélas, la maison avait été pillée et mes autres jouets avaient disparu ! C’est certainement la raison pour laquelle j’ai développé plus tard une passion pour les objets, collectionnant les poupées […].
Les Allemands nous ont alloué quelques pièces dans notre propre maison. Il me semble que la cohabitation n’était pas trop dure. J’étais la vedette de cette horde de soldats loin de leur famille. Sans que mes parents aient eu à me le dire, je refusais les friandises offertes et il était hors de question de m’embrasser. Ma mère prenant en exemple sa mère qui avait préféré mourir en 14 d’une péritonite en refusant de se faire opérer par un chirurgien allemand ne pouvait s’empêcher quelques provocations : chaque 14 Juillet, elle m’habillait en bleu, blanc, rouge !
Mais plus que les problèmes matériels, c’est le souvenir de la terreur ressentie lors de l’exode qui me hantait. Pendant de nombreuses années, le simple bruit d’un moteur d’avion m’a angoissé. Encore aujourd’hui, à 73 ans, lorsque j’entends une sirène d’alarme, je ne peux retenir un frisson d’angoisse.