Les excès, de Louis XVI, de table n’étaient pas faits pour améliorer les rhumatismes déformants qui le firent souffrir une partie de sa vie et l’empêchèrent même de monter à cheval.
Le roi fauteuil
À la fin de sa vie, Louis XVIII est surnommé le « roi-fauteuil » tant il a du mal à se déplacer du fait de sa santé fragile et de son embonpoint. Souffrant de goutte et d’artériosclérose généralisée, son corps est peu à peu rongé par la gangrène.
Méconnaissable, il se décompose vivant et dégage une odeur si nauséabonde que sa famille ne peut rester à son chevet. Petit à petit, un de ses yeux fond, son visage devient jaune et noir, des lambeaux de peau de ses jambes s’arrachent lorsque sa toilette lui est faite. Finalement, le monarque meurt à Paris le 16 septembre 1824 à l’âge de 69 ans. Il s’agit du dernier roi mort sur le trône de France, les deux suivants seront chassés par les révolutions.
Peu d’hommes se ressemblent moins que Napoléon et Louis XVIII. Ils ont pourtant un trait en commun : la totale indifférence pour ne pas dire antipathie qu’ils portent à la médecine, même si le premier lui a rouvert ses facultés et si le second lui a fondé une académie. Mais leurs points de vue ne sont pas les mêmes.
Si l’empereur est avant tout frappé par l’inefficacité de ce qui s’appelle encore l’art de guérir, le corps du roi podagre est très tôt le siège de rhumatismes déformants que sa goinfrerie légendaire rend encore plus douloureux ; il n’est plus capable depuis l’Ancien Régime de se tenir à cheval.
Aussi ne trouve-t-il rien d’assez précieux à offrir à ceux, médecins ou pas, qui les atténuent ou, mieux encore, qui lui font traverser des moments sans souffrances.
En 1793, durant l’émigration, sa rencontre avec Marie-Vincent Talochon, qui devenu le père Elisée exerce depuis vingt ans la chirurgie le plus légalement du monde au titre des frères de la Charité, est pour le Prétendant un instant de grâce. De ce jour, jusqu’à la mort du père en 1817, seules les manipulations de celui-ci parviennent à détendre et apaiser le corps royal endolori.
En mars 1815, lorsqu’en un instant les Bourbons déguerpissent du palais des Tuileries, de nombreux bagages sont égarés dans l’affolement, dont ceux dans lesquels ont été placées les pantoufles que le père Elisée a adaptées aux pieds boudinés de Louis XVIII.
Quelques heures plus tard, le maréchal MacDonald, qui s’efforce de donner un peu de dignité à cet exode pour le moins précipité, et que Vigny et Aragon ont si bien dépeint, est appelé à la portière de la voiture du roi. Dans l’effondrement de son trône, à un moment où l’on ignore si la cavalerie de Napoléon ne va pas, d’un moment à l’autre, rattraper le lugubre convoi, quel sujet, dans ce petit matin blême dégoulinant de pluie, agite alors le souverain en fuite ? Ses pantoufles. Ne les aurait-on pas retrouvées ? MacDonald dissimule mal à cet instant une stupeur que Louis XVIII perçoit. « Monsieur le maréchal, se borne-t-il à ajouter, vous saurez un jour ce que c’est que la perte de pantoufles qui ont pris la forme du pied. »
De tous les archiatres, le père Elisée est certainement celui qui serait le plus à même d’interférer dans le domaine politique du moment. Le comte d’Artois l’envisage certainement, mais lui-même ne le veut pas ou n’en a pas le temps, se bornant à tenter de dissocier, comme sous l’Ancien Régime, l’enseignement de la médecine et celui de la chirurgie que Napoléon a réunis. Mais, même cela, Louis XVIII ne peut le mener à terme.
Aux Tuileries, le Premier chirurgien du roi, une fois ce dernier assoupi grâce à ses médications, mène joyeuse vie, ramenant souvent au palais une fille ramassée sur le boulevard. « C’est la mère Elisée », lance-t-il alors à la sentinelle qui tente de jeter un ceil à l’intérieur de son coupé.
Son médecin Marie-Vincent Talochon mort, Louis XVIII retourne à ses douleurs et se désintéresse progressivement des affaires. Mais il est possible, probable même, que, sur le tard, Mme du Cayla, plus soignante que favorite, retrouve les gestes qui soulagent le vieux malade. Sans doute faut-il expliquer ainsi son emprise sur le roi, qui n’a jamais brillé véritablement par les sentiments, mais dont le cœur est alors devenu totalement sec.