Dans la nuit du 4 au 5 juillet, un U-Boot annonce sur les ondes la dispersion du convoi. Pour la meute « Eisteufel », c’est une nouvelle inespérée. Le soleil de minuit éclaire une mer calme que couvrent seulement par endroits quelques bancs de brume. Les conditions d’attaque sont idéales, les navires marchands sont isolés et sans protection : l’hallali a sonné.
Un règlement drastique
Pour limiter les pertes généralement dues au manque de discipline des commandants de la marine marchande, la Royal Navy impose des règles très contraignantes pour la marche du convoi.
La formation à respecter est de 9 colonnes de 4 navires, avec les pétroliers ravitailleurs au centre de la formation et les Rescue Ships venant en serre-file de la colonne centrale.
Le silence radio est impératif, les communications se faisant par pavillons pour les changements
de cap, malgré les conditions climatiques souvent défavorables. Tout navire ne respectant pas la vitesse de huit nœuds (à cause d’un ennui mécanique ou d’un torpillage) sera sabordé pour ne pas ralentir le P0-17 ni divertir les escorteurs de leur tâche principale. Cela implique un choix douloureux, celui de la non-récupération des naufragés par les navires marchands proches de la catastrophe. Cette tâche est en effet laissée à trois bâtiments spécialisés (les Zamalek, Zaafaran et Rathlin). En aucun cas, les marchands ne doivent s’arrêter ou quitter la formation !
Pour les marins de commerce, ce brusque départ qui ressemble à une fuite cause une immense consternation, mêlée de colère. Ils ont le sentiment d’être abandonnés, d’autant plus que les destroyers se replient avec les croiseurs: Suivant leur inspiration, les capitaines exécutent l’ordre fatidique et se dispersent dans toutes les directions.
Pour l’ennemi, c’est une chance inespérée. L’opération « Roesselsprung » est annulée dans la soirée du 5… Mais les appareils de la Luftwaffe, libérés du feu concentré du convoi, vont pouvoir conduire leurs attaques à fond. Quant aux sous-marins, ils n’ont plus rien à craindre des destroyers qui les refoulaient depuis cinq jours. En surface, à toute vitesse, ils se lancent à la chasse aux navires dont les avions signalent la position. Dès les premières heures du 5 juillet, la destruction de l’Empire Byron donne le signal de la curée. Successivement, l’Earlston, le Washington, le Bolton Castle et le Palus Potter succombent ; dans l’après-midi, c’est au tour du Pankraft, du River Afton, bâtiment du commodore Dowding, chef du convoi, et de trois autres cargos. Dans la soirée, sous-marins et avions envoient par le fond l’Ocean Freedom, le Zaafaran, le Peter Kerr et l’Honomu. Les jours suivants, le massacre continue, cinq cargos sont encore coulés.
Les hommes qui sautaient des navires torpillés tombaient dans une eau glaciale souvent recouverte de nappes d’essence enflammée. S’ils réussissaient à monter à bord d’un canot de sauvetage, ils se trouvaient néanmoins à des centaines de milles de la terre. S’ils gagnaient la côte, ils risquaient d’avoir des centaines et des centaines de kilomètres à parcourir avant de trouver un endroit habité.
Des 35 cargos qui avaient appareillé d’Hvalfjordur, 11 seulement atteignirent Arkhangelsk. Parmi les rescapés, trois naviguant de conserve durent leur survie à un officier d’escorteur, qui avait choisi de faire route avec eux. Cet homme ingénieux mit au point une brillante idée: il fit recouvrir les ponts et les superstructures des navires de peinture blanche et de draps de même couleur pour les rendre indiscernables au milieu des plaques de glace. Les avions allemands les survolèrent sans les repérer, grâce à ce camouflage et à une brume providentielle. Le dernier navire rallia Arkhangelsk le 24 juillet, soit trois semaines environ après l’ordre de dispersion. Si le convoi avait suivi le plan initialement prévu, il aurait effectué le voyage en douze jours seulement.
Le bilan des pertes fut lourd: 22 cargos coulés, 430 chars, 210 avions et 99316 tonnes de matériel de guerre engloutis. Sur les 1300 hommes qui réussirent à atteindre Arkhangelsk (d’aucuns à bord de leurs propres navires, d’autres recueillis par des bâtiments d’escorte britanniques ou par des navires de sauvetage soviétiques), un grand nombre furent à jamais mutilés à la suite de gelures qu’ils avaient contractées au contact de l’eau glaciale. Une vingtaine de naufragés, qui avaient ramé pendant dix jours en direction de l’Union soviétique (du moins, l’avaient-ils cru) se retrouvèrent en Norvège occupée et finirent dans un camp de prisonniers.
Quelque temps plus tard, la terrible méprise éclata au grand jour.
Au moment même où l’Amirauté envoyait des messages frénétiques au PQ-17 en lui enjoignant de se disperser, le Tirpitz, loin de se diriger sur le convoi comme elle le croyait, passait tout simplement d’un port de Norvège à un autre. Comme ces avions allemands avaient repéré, puis perdu de vue le porte-avions Victorious appartenant à la force de protection à distance du PQ-17, Hitler n’avait nullement l’intention d’exposer ses navires à une quelconque attaque aérienne.