Pendant que les destroyers du capitaine de vaisseau Vian encerclent le Bismarck et prononcent de nouvelles attaques à la torpille au cours de la nuit, le Rodney, venant de l’ouest, et le King George V, en provenance du nord, arrivent sur le théâtre pour participer à la curée. Le 27 mai, peu avant 9 heures, les Britanniques ouvrent le feu à 15 000 mètres.
A bord du Bismarck, les deux jours d’anxiété qui avaient suivi la réussite de son échappée hors de portée du Suffolk, s’achevèrent par une nuit de terreur. Le 25 mai, l’amiral Lütjens avait harangué l’équipage, pour tenter de relever son moral, mais son discours n’avait pas atteint son but. Ils combattraient jusqu’au dernier obus, avait-il affirmé, et s’ils coulaient, ils tenteraient d’entraîner avec eux un autre bâtiment anglais. L’équipage du Bismarck était en majorité composé de jeunes matelots récemment enrôlés et peu entraînés. Dans ces conditions, il était difficile de leur redonner confiance en leur faisant croire que cette aventure connaîtrait un heureux dénouement.
Après la mise hors d’usage des hélices de tribord, l’équipage comprit que le filet se refermait inexorablement sur eux. Lütjens offrit de décorer sur-le-champ de la croix de fer quiconque parviendrait à débloquer les gouvernails. Un plongeur fit une tentative, sans succès, dans le compartiment inondé de la barre.
Au cours de la nuit où se déroula l’attaque des destroyers, tous les membres de l’équipage restèrent mobilisés aux postes de combat. Le réseau des haut-parleurs du navire diffusait de fréquents communiqués énumérant les succès remportés contre les destroyers. Personne ne fit le compte de ceux qui furent prétendument coulés ou mis en flammes. Mais l’équipage, épuisé, savait, en revanche, que, quel que fût le nombre des navires mis hors de combat, il y en avait apparemment d’autres prêts à attaquer de nouveau. En fait, aucun des cinq destroyers britanniques engagés ne fut endommagé par les obus du Bismarck, qui manquèrent souvent de peu leur but. Lütjens avait annoncé, à l’aube, que l’aviation allemande arrivait pour assurer la couverture aérienne du Bismarck, que les U-boote allemands se rassemblaient dans les parages pour couler les navires britanniques qui oseraient approcher et que des remorqueurs de Brest faisaient route pour haler leur navire dans le port. Ces nouvelles paraissaient à présent si manifestement fausses que personne à bord n’y croyait.
Avec l’aube, la bourrasque souffla plus furieusement que jamais et, aggravant le mal de mer du jeune équipage du Bismarck, ajouta à sa fatigue. Enfin, l’échange de grandiloquence entre Lütjens et Hitler ne redonna pas courage aux marins. Ce furent, au contraire, ces proclamations qui les démoralisèrent.
Peu après 8 h 30, le Bismarck blessé vit sa Némésis surgir à l’ouest. Deux croiseurs britanniques convergaient vers lui : sur le flanc nord, le Norfolk ; au sud, dans la même position, le Dorsetshire, qui avait lâché son convoi à l’ouest de Gibraltar, pour participer à l’hallali. A l’est du Bismarck, mais encore invisible, la « force H » se tenait à l’affût.
A 8 h 47, le Rodney ouvrit le feu. Une minute plus tard, le King George V l’imita. Deux minutes s’écoulèrent, puis le Bismarck répliqua.