Sur les torpilles lâchées par les Swordfish, deux ont frappé le Bismarck, endommageant ses gouvernails et réduisant sa vitesse. Les destroyers britanniques ont ensuite harcelé le navire jusqu’à sa destruction.
Au cours de la journée, le temps s’était rapidement détérioré. Alors que les « Swordfish ,» décollaient, l’Ark Royal se mit à tanguer sur une mer houleuse, si bien que son pont d’envol s’élevait et s’abaissait sur une hauteur de dix-sept mètres ! Le ciel était couvert de nuages épais et, pour découvrir l’objectif, l’aviation ne put que faire confiance au radar de l’avion de guidage. Celui-ci localisa un bateau à 20 milles du point supposé du Bismarck et, plongeant à travers les nuages, les quatorze « Swordfish » attaquèrent. Ils lâchèrent onze torpilles. Les avions découvrirent trop tard qu’en fait d’ennemi, il s’agissait du Sheffield ! On ne les avait pas informés que ce croiseur se tenait à proximité du Bismarck…
Heureusement, les torpilles manquèrent leur cible. Alors que l’escadrille rejoignait l’Ark Royal, un des avions envoya un message au Sheffield : « Désolé pour les harengs saure! »
A 17 h 20, l’escadrille apponta sans incident. Tandis que le plein était fait, et que de nouvelles torpilles étaient embarquées, les pilotes assistèrent à un nouveau briefing. Ils reçurent l’ordre d’entrer en liaison avec le Sheffield avant d’attaquer ; le croiseur britannique devait les diriger sur l’objectif. Sur le pont de l’Ark Royal, c’était une vision impressionnante que celle de ces « Swordfish » alignés pour l’envol. Poussées par le vent nord-ouest, de grosses bourrasques de pluie balayaient le pont et le bateau tanguait sur la mer déchaînée. Choisissant l’instant où l’avant se relevait, les avions décollèrent. Les appareils se groupèrent en deux escadrilles et la radio les guida jusqu’au Sheffield.
Une demi-heure plus tard, les « Swordfish » repéraient le Sheffield. Le temps exécrable leur fit perdre la liaison, mais ils la rétablirent peu après. Un message optique du croiseur les orienta vers l’ennemi, alors à 12 milles au sud-est. Lorsque les « Swordfish » approchèrent du Bismarck, ils s’enfoncèrent dans une épaisse couche de nuages qui plafonnait à 210 mètres. En la traversant, la force de frappe se dispersa, car l’attaque projetée et combinée devait s’effectuer individuellement par différentes vagues.
Les quinze avions qui avaient décollé de l’Ark Royal lâchèrent treize torpilles sur le Bismarck ; leur attaque se heurta au tir de l’ennemi, mais en dépit de son intensité et de sa précision, ils menèrent à bien leur mission avec une farouche résolution. Après son appontage sur l’Ark Royal, outre les blessures de son pilote et de son tireur, on découvrit qu’un « Swordfish » était criblé de plus de cent éclats d’obus.
Sur treize torpilles lâchées, il y eut deux impacts certains et un probable. Une torpille toucha le Bismarck par le travers à bâbord mais ne provoqua pas d’avarie. Une autre explosa à tribord sur l’arrière ; ce fut elle qui scella son destin. Elle endommagea ses hélices de tribord, démolit son servomoteur et bloqua ses gouvernails. Deux des avions d’observation de l’Ark Royal constatèrent après l’attaque que le Bismarck décrivait deux cercles complets et réduisait sa vitesse à un peu plus de 8 noeuds.
Alors que, leur mission achevée, les avions du raid appontaient sur l’Ark Royal, dans la nuit farouche, le Bismarck tenu en alerte vit venir à lui un nouvel ennemi pour le harceler. A l’horizon, qui s’assombrissait au nord-ouest, se découpaient les silhouettes de cinq navires : les destroyers de la 4e ‘ flottille. Ceux-ci, pendant toute la nuit, ne laissèrent aucun répit au malheureux bâtiment et, au matin, le livrèrent aux canons vengeurs du commandant en chef britannique.
Dans la guerre navale, il est parfois des heures où, à la lumière de nouveaux renseignements, les officiers commandants ont le droit de désobéir aux ordres antérieurs. Au matin du 26 mai, ce moment était venu pour le commandant Vian, chef de la 4e flottille de destroyers. L’Amirauté britannique lui avait ordonné de quitter le convoi militaire qu’il escortait et de rejoindre le commandant en chef pour remplacer les destroyers à court de mazout. Il était en route lorsqu’il intercepta le message du « Catalina » transmettant la position du Bismarck. Sans hésitation, Vian décida que son devoir était d’intercepter l’ennemi. A 21 h 52, le Cossack, de conserve avec les destroyers Maori, Zulu, Sikh et le polonais Pjorun, entrèrent en liaison avec le Sheffield, qui pouvait les diriger sur l’ennemi. A la tombée du jour, le Pjorun, à l’aile tribord de la formation de recherche, en ligne de front, aperçut le Bismarck, à 9 milles au sud-est.
Toute la nuit, ils gardèrent le contact avec l’ennemi blessé et l’attaquèrent à la torpille, lorsque l’occasion s’en présentait. Quoique désemparé par les « Swordfish » de l’Ark Royal, qui avaient endommagé ses hélices, le Bismarck avait encore la force de se défendre lui-même et son tir restait dense et précis. A maintes reprises, il repoussa les destroyers, alors qu’ils se rapprochaient séparément pour l’attaquer, et quoique parfois l’un d’eux perdît le contact, il s’en trouvait toujours un autre pour assurer la relève. Par trois fois, des torpilles l’atteignirent encore, mais on ignore si elles provoquèrent de plus graves avaries.
Quand le jour se leva, les destroyers guettaient toujours leur proie. Ils n’avaient pas relâché leur poursuite impitoyable. Le Norfolk, qui avait participé au début de la chasse et repéré le Bismarck et le Prinz Eugen dans le détroit de Danemark, arriva sur les lieux à 7 h 53. Les messages radio l’avaient dirigé sur l’ennemi. Un quart d’heure plus tard, le Norfolk aperçut deux gros navires à une distance de 12 milles à l’ouest : le King George V arborant la marque du commandant en chef, l’amiral Tovey, et le Rodney qui, la veille au soir, avait rejoint le navire amiral. Celui-ci leur communiqua le relèvement (130°) et la distance (16 milles) de l’ennemi. Le rideau se levait sur le dernier acte du drame.