Malgré son caractère très primitif, la Chain Home (système de défense radar) sera l’atout gagnant de la RAF pendant la Bataille d’Angleterre. Sans elle, la survie même du pays aurait été en péril.
Le 8 août 1940 marque, pour les Britanniques, le commencement de la Bataille d’Angleterre proprement dite. Sans grande surprise par rapport à ce qui s’est passé avant, elle débute par une nouvelle attaque contre un convoi, mais une attaque d’une ampleur sans précédent. Près de 350 avions allemands prennent part à l’opération, forçant le Fighter Command à effectuer 621 sorties. La rencontre s’achève sur un match nul : 11 Bf 109 perdus contre 11 Spitfire. L’acharnement et la complexité des combats font monter les enchères en matière de revendications : 43 victoires pour la Luftwaffe et 53 pour la RAF, le Fighter Command perdant quinze pilotes et vingt avions. À ce moment de la bataille, il est évidemment trop tôt pour prévoir comment les deux camps pourront encaisser un tel taux de perte. Pourtant, les perspectives ne s’annoncent pas réjouissantes ni pour les marins anglais (7 navires coulés sur 31) ni pour la RAF contrainte de déployer des efforts disproportionnés par rapport à ceux engagés par la Luftwaffe. Il ne fait aucune doute que celle-ci est en train d’entraîner la RAF dans une guerre d’usure que la RAF n’a pas les moyens de soutenir sur le long terme. Mais la Luftwaffe en a-t-elle réellement la capacité ?
Le radar n’est ni une nouveauté ni un système de détection inconnu des Allemands à l’été de 1940. Bien au contraire, ils possèdent même une certaine avance technique sur les Britanniques dans ce domaine. Toutefois, le radar n’est que le premier élément d’un système d’interception intégré, baptisé Chain Home, dont le dernier maillon est l’avion de chasse. Entre les deux se trouve une chambre de filtrage installée au QG du Fighter Command à Bentley Priory, dans la banlieue londonienne. Celle-ci centralise les informations communiquées par les stations de radar. Sur une gigantesque carte horizontale située au milieu de la chambre, des opératrices (plotters) déplacent des jetons de couleur à l’aide d’un grand râteau; certains jetons représentent les formations amies, les autres les formations ennemies. Des contrôleurs, installés dans une galerie surplombant cette carte, ont ainsi une vision d’ensemble de la situation et informent les salles d’opérations des Groups concernés du développement de la situation. À leur tour, les contrôleurs des salles d’opérations peuvent donner leurs ordres à leurs escadrilles de chasse.
L’avantage du système est la centralisation des informations, permettant l’intervention simultanée des unités dépendant de Groups différents. Son inconvénient est le délai de transmission des informations aux chasseurs, de l’ordre de 4 à 5 minutes. Ce qui, pour un bombardier représente un trajet de 35 km.
Cette organisation originale est l’oeuvre de Hugh Dowding qui, à l’époque de la décision prise par le gouvernement britannique d’implanter ce système de détection, est responsable de la recherche et du développement au sein de l’Air Ministry. Devenu chef du Fighter Command moins d’un an plus tard, il s’évertue à développer la couverture radar du sud de l’Angleterre.
En 1940, le radar en est encore à ses balbutiements et les opérateurs manquent d’expérience. Les erreurs sont fréquentes dans la détermination de l’altitude et de la taille des formations ennemies. En outre, malgré l’implantation de stations spécialisées dans la détection des avions volant à basse altitude (Chain Home Low), les raids des chasseurs-bombardiers allemands volant au ras des flots individuellement ou en faible nombre jouiront d’une certaine impunité, car l’alerte sera toujours donnée trop tard. Une autre difficulté réside à éviter de guider des chasseurs amis sur d’autres chasseurs amis, car le système IFF (Identification Friend or Foe) restera pendant longtemps le maillon faible de l’ensemble.
Quarante-cinq stations sont réparties depuis la pointe ouest des Comouailles jusqu’aux Shetlands, avec une plus forte concentration dans le sud-est de l’Angleterre. La portée des radars est de l’ordre de 65 km à basse altitude et va jusqu’à 250 km à 6 500 m; toutefois, au-dessus de 8 000 m, la couverture reste médiocre, car imprécise. Quand les formations allemandes volent entre 4 000 et 5 000 m, le délai est tout juste suffisant pour faire décoller les unités de chasse sur alerte.
Malgré ces quelques insuffisances, la Chain Home sera l’atout gagnant de la RAF pendant la bataille d’Angleterre. Sans elle, la survie même de l’Angleterre aurait été en péril.
Les officiers du service de renseignements de la Luftwaffe apprirent qu’une chose intriguait particulièrement la force de bombardement: les Anglais semblaient toujours savoir où l’ennemi se trouvait; leur système de radar avait donc définitivement fait ses preuves. On connaissait son efficacité depuis plus d’un mois, mais sa précision de plus en plus grande était désormais notoire dans toutes les bases de la Luftwaffe.
Fort heureusement pour les Anglais, qui bénéficièrent d’ailleurs d’une bonne dose de chance durant cette période, ces indications ne parurent pas convaincre Goering et son état-major que le radar représentait pour leur entreprise la menace la plus dangereuse. Bien que celui-ci fût l’un des sujets les plus fréquemment abordés lors des conférences de Karin Hall, personne encore n’avait néanmoins songé à donner la priorité à sa destruction. On était purement et simplement convenus de la nécessité de lancer des attaques préliminaires contre ce système avant toute opération prévue pour le «Jour de l’Aigle».
Le premier raid eut lieu la veille, le 12 août. Des bombardiers pilonnèrent six stations situées sur la côte sud de l’Angleterre. L’une d’elles, à Ventnor dans l’île de Wight, affectée à la surveillance des approches du port de Southampton, fut totalement détruite. Dans ce cas précis, les Allemands remportèrent donc une grande victoire.
Et, ce, à leur insu ! De toute évidence, ils ne surent pas que la station de Ventnor n’existait plus et qu’une brèche de 15 kilomètres était ouverte dans la chaîne côtière des radars, par laquelle leurs bombardiers auraient d’ailleurs pu s’engouffrer pour semer la mort et la panique.
Les stations de radar subirent de nouvelles attaques les jours suivants, mais celles-ci ne furent pas assez violentes pour les paralyser pendant plus de quelques heures. Cependant (mais les Allemands l’ignoraient), le système péchait en un point particulier: son personnel était pratiquement sans protection. Des femmes appartenant au Service féminin auxiliaire de la R.A.F. (la W.A.A.F.) composaient l’effectif essentiel de cet inestimable cordon défensif. Travaillant dans de légères baraques en bois construites à proximité des tours de radar, elles étaient très facilement repérables en raison d’un camouflage nettement insuffisant. Des bombes bien placées ou des mitraillages précis d’avions de chasse les auraient pratiquement réduites en miettes.
Pareil incident ne se produisit qu’à deux reprises et fortuitement, semble-t-il. En fait, les bombardiers essayaient seulement de détruire les tours de radar. Celles-ci ayant une forme très effilée, il s’avérait très difficile de les atteindre de plein fouet. Qui plus est, si les tours étaient aisément remplaçables, il n’en allait pas de même des opératrices bien entraînées de la W.A.A.F. Pendant les attaques, ces auxiliaires féminines continuaient à s’affairer, communiquant les renseignements qui leur parvenaient au Fighter Command pour lui permettre d’anéantir les assaillants.
Si Goering avait eu connaissance de la catastrophe que représentait pour la R.A.F. la destruction de la station Ventnor, il aurait probablement donné l’ordre à ses bombardiers d’intensifier leurs attaques contre la chaîne de radars. Mais leurs raids apparemment infructueux contre les stations le persuadèrent qu’elles étaient invulnérables.
Parmi les nombreuses erreurs que Goering commit pendant la Deuxième Guerre mondiale, celle-ci fut certainement l’une des plus graves. Le Maréchal du Reich était d’ailleurs excusable, car il ignorait que les Britanniques possédaient encore un autre atout: ils avaient la possibilité de déchiffrer les messages codés de leurs adversaires. S’ils étaient parvenus à détruire le réseau radar de la R.A.F., les Allemands auraient sans doute été amenés à la conclusion que les Anglais possédaient une autre source de renseignements, qui ne pouvait être que la radio allemande, et ils se seraient alors empressés de modifier leurs codes.