L'obstination de Churchill face à Hitler en 1940

Hitler étonna ses auditeurs en leur parlant « avec une grande admiration, de l’Empire britannique, de la nécessité de son existence et de la civilisation que la Grande-Bretagne avait apportée au monde »

Hitler n'a pas envie d'envahir l'Angleterre

Pendant que Hitler, qui, ne boudant pas son plaisir d’avoir mis la France à genoux, pense que la guerre est finie, joue au touriste dans Paris, son état-major se pose une angoissante question existentielle :
« Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? »
La structure du Haut commandement allemand est ainsi faite que personne ne peut prendre la moindre initiative sans l’accord du Führer. Revenu de ses congés, Hitler tergiverse. Il ordonne les préparatifs d’une invasion des îles britanniques, sous le nom d’opération « Seelôwe » (otarie), à laquelle il ne croit pas lui-même.
En fait, Hitler n’a aucune envie d’envahir l’Angleterre ni même de la vaincre militairement. Il préférerait un modus vivendi avec un adversaire pour lequel il a un profond respect, un Yalta avant l’heure, un partage du monde – à l’Allemagne l’Europe continentale, à l’Angleterre son Empire – qui lui laisserait les mains libres pour intervenir à l’Est. Oui, mais voilà, en face de lui se dresse un homme d’une stature qu’il n’a probablement pas jugée à sa juste valeur : Winston Churchill. Or, le Premier ministre anglais a compris, lui, à qui il avait affaire. Ce sera un combat à mort pour la survie non seulement de l’Angleterre mais aussi du monde libre. Il ‘exprimera dans un discours devenu célèbre, par lequel il ne promettra qu’une chose à ses compatriotes : blood, sweat and tears: du sang, de la sueur et des larmes. Comme pour ôter toute illusion à Hitler, le 3 juillet 1940, Churchill ordonne d’attaquer la flotte française à Mers el-Kébir. C’est un signal fort qu’il envoie : ceux qui ne sont pas avec l’Angleterre sont contre l’Angleterre. Mais c’est aussi un message qu’il adresse aux États-Unis : nous sommes fermement décidés à nous battre jusqu’au bout, alors aidez-nous l
Il faut donc attendre la mi-juillet pour que Hitler se rende compte que Churchill n’est pas homme à se montrer raisonnable.

Churchill gagne du temps à Hitler

Certains Anglais influents pensaient que le moment était venu de faire la paix avec l’Allemagne, sans être pour autant des lâches ou des traîtres. Des hommes politiques sensés, au sein du gouvernement et en dehors, faisaient le point de la situation en Grande-Bretagne. Ils tremblaient non pas pour leur propre sécurité mais à l’idée de la perte énorme en vies humaines et des destructions effroyables qu’une lutte à mort entraînerait. Car ils pensaient que l’Angleterre n’avait que de faibles chances d’en sortir victorieuse.
Adopter cette solution, la paix avec Hitler, signifierait reconnaître sa domination sur le Continent et devoir rendre les colonies d’outre-mer prises à l’Allemagne après la Première Guerre mondiale. Du moins étaient-ce là les rumeurs émanant des capitales européennes neutres, que ne manquaient pas d’encourager les diplomates allemands. Hitler, disait-on, admirait sincèrement les Anglais, leur empire et leur civilisation; en tant qu’Anglo-Saxons, ils correspondaient à son idée d’une race de seigneurs et il n’avait absolument aucun désir de les détruire.
Dès la fin du mois de juin, des sondages de paix allemands parvenaient à Londres à travers divers pays neutres. Par l’intermédiaire de son nonce en Suisse, le Vatican effectua une démarche. Le roi de Suède lui-même fit pression pour un règlement avec l’Allemagne. En Espagne, des envoyés allemands eurent des contacts directs avec sir Samuel Hoare, l’ambassadeur britannique.
Officiellement, le Premier ministre Churchill resta inflexible devant ces initiatives. Comme il le fit remarquer dans sa réponse au roi Gustave V de Suède:
« Avant que toutes requêtes ou propositions puissent être même considérées, il serait nécessaire qu’une garantie efficace en actes, et non pas en paroles, parvienne d’Allemagne assurant la restauration d’une vie libre et indépendante en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Norvège, au Danemark, en Hollande, en Belgique et par-dessus tout en France. »
Mais certains témoignages découverts après la guerre indiquent que, officieusement, Churchill encouragea des conciliateurs au Parlement et des intermédiaires dans les pays neutres à envisager que son gouvernement ne s’opposerait pas à un accord avec les nazis, à condition que le Führer fît réellement preuve de sincérité en parlant de préserver l’Empire britannique en tant que facteur d’équilibre mondial.
En réalité, Churchill cherchait à gagner du temps. Des valets de ferme, des officiers de l’armée en retraite de la Première Guerre mondiale, toute sorte de volontaires pour la défense locale se regroupaient dans la Home Guard. Ils patrouillaient le long des routes et des 3 200 kilomètres de côtes avec des armes de chasse, des fusils démodés et même des fourches et des clubs de golf. Jusqu’à ce qu’on arrive à équiper décemment ces hommes; jusqu’à ce qu’on parvienne à réarmer convenablement les combattants de Dunkerque et les autres troupes régulières de l’armée; jusqu’à ce qu’on réussisse à consolider les fortifications, à creuser des fossés antichars, à miner les plages et à renforcer la R.A.F. en avions et en pilotes, chaque jour gagné était précieux.

Pour Hitler, Churchill était un rustre et un ivrogne

Il ne pouvait planer aucun doute sur la véritable position de Churchill envers les démarches de paix de Hitler. Il convoqua un soir une réunion de l’état-major général dans une pièce dénudée du labyrinthe du quartier général souterrain, situé sous Whitehall, à proximité du Parlement et des bureaux du gouvernement. A l’arrivée de Churchill, généraux et ministres se levèrent et regardèrent leur chef dans un silence que seul troublait le bruit des ventilateurs en marche. Le Premier ministre s’arrêta, retira son cigare, le promena d’un geste circulaire dans l’abri spartiate, puis le pointa en direction de la chaise en bois placée à la tête de la table de conférence.
« Voici la salle à partir de laquelle je dirigerai la guerre, déclara-t-il. Et, si l’invasion a lieu, c’est ici que je serai assis, sur cette chaise.» Il remit le cigare dans sa bouche, tira une bouffée et ajouta: « Je resterai assis jusqu’à ce que les Allemands soient repoussés ou que l’on me sorte mort. »
Dès le début de juillet s’effaçait la confiance présomptueuse de Hitler misant sur le soi-disant bon sens des Anglais: contre toute attente allemande, ni la peur ni le chaos ne les avaient atteints après Dunkerque. Bien au contraire ! Les Britanniques avaient mis à profit le sursis depuis l’évacuation en accélérant la production des avions, des chars et des autres armes qui feraient de leurs îles une véritable forteresse.
Churchill devait se le remémorer plus tard:
« Les hommes et les femmes se sont acharnés au travail, sur les tours et les machines dans les usines au point de tomber d’épuisement; il fallait les emmener et les renvoyer de force chez eux, et aussitôt les places étaient prises par les nouveaux venus arrivés avant l’heure. »
Pour Hitler, Churchill était un rustre et un ivrogne, et ses proches collaborateurs des idiots obstinés. Dans les dix mois qui suivirent le début de la guerre à partir de septembre, les forces armées du Reich avaient mis sous le contrôle de l’Allemagne la totalité de l’Europe du Nord, de la rivière Bug en Pologne à la côte de la Manche en France. Cependant, de l’autre côté de la Manche, le peuple anglais préférait ignorer cette situation.
Non seulement cette obstination déconcertait le Führer, mais elle risquait aussi d’entraver ses autres plans. Le point suivant important de son programme de conquête était l’invasion et la destruction de son alliée du moment, l’U.R.S.S. Ce projet, envisagé pour le cours de l’année 1941, risquait de se compliquer à l’extrême si une Grande-Bretagne hostile lui faisait toujours opposition.
Si les Anglais persistaient dans leur refus de conclure la paix et se conduisaient avec tant de « mesquinerie», comme il s’en plaignait amèrement dans une lettre à son partenaire de l’Axe Mussolini, ils auraient à en supporter les conséquences. Le 16 juillet, un communiqué secret destiné aux chefs militaires allemands annonçait la décision prise par le Führer:
« Étant donné que l’Angleterre, malgré sa situation militaire désespérée, ne montre aucun signe de bonne volonté pour arriver à un accord, j’ai décidé de préparer, et si nécessaire d’effectuer, une opération de débarquement dirigée contre elle. Le but de cette opération est d’empêcher que l’Angleterre serve de base à une attaque contre l’Allemagne, et, si nécessaire, eh bien! nous n’hésiterons pas à occuper le pays tout entier. »
Bien que ce communiqué fît peser la responsabilité de la continuation de la guerre sur la Grande-Bretagne, les mots clés étaient « si nécessaire ». Hitler espérait que les Anglais reconnaîtraient la difficulté de leur situation et se rallieraient à sa façon de penser. Le nom de code choisi pour l’opération était Lion (peu de temps après, il devint Lion de mer). Il était plutôt révélateur, car même l’espion le plus amateur aurait pu en déduire que le lion symbolisait l’emblème national de la Grande-Bretagne.
De toute façon, cet effort de discrétion s’avérait inutile. La Grande-Bretagne était déjà bel et bien en train de se préparer à l’âpre combat.

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