En novembre 1923, Hitler tenta de prendre le pouvoir à Munich. Ce fut un échec. La marche à travers Munich fut aisément dispersée par la police. Seize nazis trouvèrent la mort. On arrêta Hitler. Après un procès spectaculaire, où son éloquence domina les débats, il fut condamné au minimum de la peine : cinq ans d’emprisonnement.
En janvier 1923 se produisit un événement qui eut pour résultat d’unir les Allemands comme ils ne l’avaient jamais été depuis la guerre: trois divisions françaises occupèrent la Ruhr, le cœur industriel de l’Allemagne. Le gouvernement français, pour justifier cette occupation, invoquait les manquements du Reich dans le règlement des réparations.
De fait, la commission créée par le traité de Versailles en avait fixé le montant à 132 milliards de marks or. Le versement devait s’effectuer par annuités à la fois en argent et en nature: la France recevrait ainsi d’importantes quantités de certaines grandes productions de la Ruhr, du charbon et du bois de construction. Mais, au début de 1923, le gouvernement français constatait que l’Allemagne n’avait pas livré la moitié des 200 000 poteaux télégraphiques qu’elle s’était pourtant engagée à fournir.
Estimant qu’une occupation ne pouvait être justifiée par un manquement aussi mineur, le gouvernement de Berlin piqué au vif décida de répliquer par la résistance passive dans la Ruhr. Les ouvriers désertèrent les ateliers. Les mines, les usines et les bureaux devinrent silencieux. Mais cette tactique ne tarda pas à se révéler terriblement coûteuse. Le gouvernement entreprit d’indemniser les mineurs, les ouvriers et les employés victimes de l’initiative française. Il fallut faire marcher la planche à billets et imprimer des millions puis des milliards, puis des trillions de marks.
Le mark n’avait d’ailleurs pas cessé de se déprécier depuis la défaite de l’Allemagne. Mais, après l’occupation de la Ruhr, ce fut l’effondrement. En janvier 1923, il ne valait déjà plus que 18 000 dollars. En juillet, il tombait à 160 000, un mois plus tard à un million et en novembre à 4 milliards. Le spectacle de gens poussant des charrettes remplies de billets pour aller acheter un sac de pommes de terre devint courant.
Finalement, un nouveau gouvernement dirigé par un homme énergique, Stresemann, se décida à arrêter l’effondrement de l’économie. Il mit fin à la résistance passive et reprit le versement des réparations. Mais il dut recourir à l’état d’urgence devant la dégradation de l’unité nationale et la violence des passions politiques.
En Bavière, l’état d’urgence porta au pouvoir un triumvirat: Gustav von Kahr, commissaire d’État, le général Otto von Lossow, commandant de la Reichswehr locale et le colonel Hans von Seisser, chef de la police. La Bavière n’avait jamais aché une tendance au séparatisme. Aussi Hitler, redoutant que les triumvirs ne se servent de la crise pour rompre avec Berlin, imagina de les supplanter en les associant de force à la prise du pouvoir par les nazis dans un putsch qui le placerait au niveau national dans une position aussi dominante que celle de Mussolini en Italie.
Une réunion de fonctionnaires tenue par les triumvirs dans une des plus grandes brasseries de Munich, la Bürgerbraükeller, lui en fournit l’occasion. Kahr venait à peine de commencer son discours quand Hitler, vêtu d’un long manteau noir, arborant ostensiblement sa croix de fer, arriva en compagnie de Goering et d’une troupe de S.A. Pendant que ses gardes du corps mettaient une mitrailleuse en position, Hitler bondit sur une table et tira un coup de revolver dans le plafond.
La révolution nationale a commencé, cria-t-il. Cette salle est cernée par 600 hommes armés jusqu’aux dents. Les gouvernements bavarois et central ont été dissous, un gouvernement provisoire a été mis en place. Les casernes de l’armée et de la gendarmerie ont été occupées, et les troupes marchent sur la ville derrière l’étendard à croix gammée
L’assistance médusée ne pouvait savoir qu’il s’agissait d’un énorme bluff. Les soldats étaient dans leurs casernes et le gouvernement provisoire n’existait que dans l’imagination de Hitler. Brandissant son revolver, celui-ci obligea les triumvirs à entrer dans une pièce attenante pendant que Goering s’adressait à la foule de la façon suivante: Vous avez de la bière, buvez! Ne vous inquiétez de rien.
Entre-temps, un messager envoyé par Hitler s’était présenté à la maison du général Ludendorff, qui avait pris sa retraite à proximité de Munich. Il avait pour mission de convaincre le célèbre chef d’état-major des armées allemandes pendant la guerre de se joindre au putsch. Quoique mécontent de cette démarche brutale, Ludendorff accepta néanmoins de se rendre à la Bürgerbraükeller.
Kahr, Lossow et Seisser n’étaient pas du tout intimidés par le revolver et les paroles menaçantes de Hitler. Ils refusaient de joindre le mouvement. Mais l’entrée inattendue de Ludendorff leur donna à réfléchir. Ils acceptèrent, en signe d’entente, de se présenter devant la salle en compagnie du général et de Hitler. L’assistance les acclama avant de se disperser. Les S.A. prirent alors quelques personnalités officielles en otage, mais laissèrent sortir les triumvirs, pensant qu’ils allaient donner l’ordre à la troupe et à la police de se rallier. Bien au contraire, Lossow ordonna aux stations de radio d’annoncer que le gouvernement de Bavière condamnait sévèrement le putsch.
Le 9 novembre à 11 heures, le cortège se met en marche. En tête les chefs du mouvement suivis de 3 000 SA de Gôring ; des mitrailleuses sont en batterie sur un camion. La colonne se heurte à un barrage tenu par la police. Un coup de feu dont on ne saura jamais l’origine part ; les deux camps, qui jusque-là se sont observés, ouvrent le feu simultanément, faisant de part et d’autre vingt morts et une centaine de blessés.
Hitler, entraîné par la chute d’un voisin, tombe et se démet l’épaule. Comme la plupart de ceux qui sont en tête, il s’enfuit. On le place dans une voiture qui l’emmène aussitôt dans une maison de campagne où il sera arrêté deux jours plus tard.
Le vieux maréchal, demeuré d’un sang-froid imperturbable au milieu de la fusillade, a continué seul d’avancer vers l’Odeonplatz où se trouvait le ministère. Les soldats n’osent pas tirer sur lui, mais l’arrêtent. Gôring, blessé d’une balle dans le ventre, se réfugie en Autriche avec Hess. C’est l’échec, l’échec total.
Le procès qui suit le putsch est conduit par un tribunal spécial et dure vingt-quatre jours. Vingt-quatre jours pendant lesquels Hitler occupe une place de choix non seulement dans les journaux de Bavière mais dans ceux de toute l’Allemagne. Il saisit tout de suite la popularité qu’il peut tirer de son échec du 8 novembre grâce à ce procès. Sa tactique consiste à accuser le gouvernement bavarois d’avoir eu les mêmes objectifs que lui : renverser le gouvernement de Berlin.
Si nous sommes des traîtres, dit-il au tribunal, alors Kahr, von Lossow et Seisser le sont aussi.
Le tribunal qui pouvait difficilement refuser la thèse de Hitler fit preuve d’une grande mansuétude en le condamnant au minimum, soit cinq ans de prison. Quant à Ludendorff, dont on ne pouvait nier qu’il fût à la tête du complot, il fut acquitté.
C’est à la prison de Landsberg, à l’ouest de Munich que Hitler purgea les neuf mois de prison qu’il effectua réellement.
Ainsi qu’il le reconnaîtra, c’est cet emprisonnement qui nous a valu Mein Kampf. Cet important volume de 400 pages expose ses conceptions dans un mélange où sont traités pêle-mêle les sujets les plus variés depuis une conception de la future Allemagne et du monde jusqu’aux questions sexuelles, la prostitution, la syphilis et la boxe.