Un poste de secours à Verdun en 1916

Les blessés dans ce carnage ? Martyrisés dans leur chair ensanglantée, ils n’avaient d’autre idée que de fuir le champ de bataille et d’atteindre quelque poste de secours où un major se pencherait sur leurs blessures.

Mon pauvre Sagnal
Après deux violentes attaques que nous avons repoussées, mais avec beaucoup de pertes, je retrouve non loin d’où je l’avais laissé, mon cher camarade Sagnal. Le mica de son masque était percé, il était privé de connaissance. Je m’empresse de le lui changer, car les Boches continuent par obus l’envoi de gaz.
Sagnal retrouve l’esprit, il arrache son masque et me dit: « Mon vieux Théo, je suis fait » et au même moment il est pris d’un violent vomissement; le sang lui sort par les oreilles, le nez et à pleine bouche; l’horrible agonie!
Jamais je ne pourrai l’oublier. Il ne voulait pas mourir et me disait de le sauver; il me parlait de sa chère maman, et puis il me disait qu’il souffrait trop, de lui donner une grenade pour se faire sauter. Je pleurais comme un enfant et je m’efforçais de le consoler. Le délire le prit et il se croyait près de sa fiancée et de ses parents. A ce moment, les Boches, qui avaient prononcé une forte attaque sur notre droite, occupée par des noirs, réussirent à percer notre front. Je me précipitai à la contre-attaque avec les camarades et je ne revis plus mon pauvre Sagnal.

Un poste de secours le 22 mai 1916 à Verdun (témoignage)

Un poste de secours à Verdun est établi à flanc de coteau, à cent mètres de la ferme de Thiaumont.

Un poste de secours est établi à flanc de coteau, lèvre nord du ravin de la Mort, à cent mètres de la ferme de Thiaumont. C’est un trou recouvert de planches et de branchages pourris… Un 77 y entrerait comme chez lui. L’évacuation de nos blessés constitue une tâche qui semble au-dessus des forces humaines. De jour, il n’y faut pas penser : le versant opposé du ravin est entièrement exposé aux vues de l’ennemi. Le transport de nuit est seul possible, mais dans quelles conditions, et malgré l’héroïsme de mes brancardiers, avec quelle désespérante lenteur ! Aussi notre poste regorge-t-il de pauvres gars, dont certains sont blessés depuis plusieurs jours.
A six heures du matin, la préparation d’artillerie commence : roulement ininterrompu, auquel les Boches répondent avec énergie… Les blessés commencent à affluer. Le sergent D… a tout son larynx, sa trachée et son œsophage ouverts, béants, jusqu’aux carotides. C’est un véritable égorgement. Il a toute sa connaissance et, ne pouvant émettre aucun son, sauf le glouglou de l’air et du sang passant dans sa plaie, nous regarde de ses grands yeux bleus si intelligents… Il est d’une bravoure exemplaire devant la mort qui, malgré nos efforts pour enrayer l’hémorragie, l’enlève au bout d’une heure.
L’assaut est fixé à midi moins cinq… Tous les copains, nous nous serrons la main.
Les feux de barrage se succèdent devant et derrière nous. Des blessés hurlent dans les trous d’obus ; nous allons les panser, sans, bien souvent, pouvoir les en sortir.
(…) Notre P.S. regorge de blessés. Nous faisons des pansements sans discontinuer et nous disons par signes ce que nous avons à dire : on ne peut même pas s’entendre. Le lieutenant M…, arrivé en renfort il y a quelques jours, vient d’être tué, mutilé affreusement, deux minutes après m’avoir serré la main : un éclat est arrivé sur sa musette pleine de grenades et l’a mis en bouillie… L’aspirant A… (dix-neuf ans) est tué. L’aspirant M…, même âge, et l’adjudant C… également.
Plaies légères et délabrements affreux, je panse tout de mon mieux… Un malheureux de qui j’essaie de garrotter la fémorale, est blessé d’un éclat profond dans la poitrine. Pendant que je le panse, un jeune caporal m’arrive, tout seul, avec les deux mains arrachées au ras des poignets. Il regarde ses moignons rouges avec des yeux exorbités. Je tâche de trouver un mot qui le console et lui crie :
Que fais-tu dans le civil ?
J’ai alors la réponse, qui m’empêche de rien ajouter : Sculpteur, dit-il.

Un poste de secours le 23 mai 1916 à Verdun (témoignage)

Sur la route de Verdun à Douaumont, un blessé grave est transporté vers un poste de secours par des brancardiers.

Nous avons déjà douze brancardiers hors de combat. Et au jour, le bombardement. après une accalmie passagère, redouble. Un obus éclate en plein devant notre P.S. Il y a une dizaine de tués et blessés, là, devant nous…
On m’amène le capitaine F…, grièvement blessé à la tête, au bras, à la jambe. Il me regarde et me dit simplement : Tu vois, vieux, j’ai mon compte.
Je fais son pansement à la tête, tandis que T… et L… pansent le reste. Je lui coupe la lanière de cuir de ses jumelles, qu’il a autour du cou, et il me dit : Garde-les en souvenir de moi.
De sentir son sang si rouge et si chaud couler plein mes mains, ça me fait mal. Je m’étrangle pour ne pas pleurer et, dès que j’ai fini, je vais me cacher derrière le pare-éclats et je ne puis retenir mes larmes.
Nous l’étendons au fond de notre trou et à un moment, il a du délire. Mais quand le soir arrive, il est moins mal; il envoie chercher sa croix de guerre dans son sac et je la lui accroche avec une épingle ; il veut l’avoir, s’il meurt. Dès la tombée de la nuit, on l’évacue. Quatre de ses poilus, volontaires, le portent ; ils ont, eux aussi, les larmes aux yeux.

Oh ! laissez-moi dormir

Un mitrailleur a le ventre ouvert; il accourt ici , avec ses pauvres mains crispées sur ses intestins qui se sauvent. Un autre m’arrive, la tête bandée de son pansement individuel, soutenu par un camarade. Je le fais asseoir devant moi, sur la petite caisse, mais il a l’air quasi endormi et ne s’aide pas du tout, laissant sa tête brimbaler de droite et de gauche. Je suis pressé, et, sentant les autres qui attendent, je lui demande de se mieux prêter au pansement. Mais lui ne cesse de répéter inlassablement : « Oh ! laissez-moi dormir »… J’enlève la bande qui lui entoure la tête et alors, la chose horrible m’apparaît: toute la moitié de son cerveau, son hémisphère droit tout entier glisse en dehors de son crâne béant et j’éprouve cette sensation terrible de recevoir dans ma main gauche toute la matière cérébrale de ce malheureux qui, la boîte crânienne défoncée et vidée en partie de son contenu, continue de me répéter son leitmotiv: « Laissez-moi dormir. »
Alors je lui dis: « Oui, mon vieux, va, on va te laisser dormir. » Et je vide ma main de son contenu que je remets à sa place, maintenant le tout avec des compresses et une bande… avec quelles précautions et quelle angoisse !… « Va dormir, va, mon vieux ». Soutenu sous chaque bras, ce mort vivant fait quelques pas, s’étend dans un coin. Une piqûre de morphine, une couverture et le sommeil, hélas ! pour toujours.

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