Les témoignages et la liste des victimes montrent que les protagonistes du 2 mai 1808 sont de toutes origines sociales. Des domestiques, des ouvriers, combattent avec des artisans, des boutiquiers, mais aussi des personnes de condition sociale supérieure, commerçants, médecins, architectes. Quelques membres du clergé participent également à la lutte
Il n’y a plus d’insurrection d’ensemble dans Madrid. Les combats qui continuent sont épisodiques, mais aussi acharnés. Goya les a vus. Il nous les a légués dans les Désastres de la guerre. Un lancier polonais traîne une femme sur le pavé. Une femme, son enfant sous le bras, perce d’un coup de lance un soldat qui s’abat. Voilà un grenadier le crâne ouvert par un coup de hache, un Espagnol qui lève son poignard sur un soldat. Partout, sur le pavé, d’affreuses flaques de sang.
Oui, elle est finie, l’insurrection des Madrilènes. Et vaincue. Mais en même temps un implacable processus est engagé. Il y a beaucoup de morts dans les rangs français. Les hommes de Murat crient vengeance. Leur chef va les satisfaire. La répression commence.
D’abord, Murat lance une proclamation dans laquelle il prend la Junte à partie, la rend responsable de l’ordre qui doit régner. Il nomme une commission militaire qui jugera sommairement les insurgés qui auront été pris les armes à la main. Désormais, tout Espagnol qui passe dans la rue est arrêté, fouillé. Malheur à lui s’il porte une arme. Aux yeux des soldats, tout est une arme. Un canif ? Une arme. Des ciseaux ? Une arme.
Un infortuné barbier qui s’en va raser un client est arrêté: n’a-t-il pas un rasoir sur lui ? Ceux-là sont empoignés, on les bourre de coups de crosse, parfois on les fouaille à la baïonnette. On les traîne devant la Commission. Il ne s’agit pas de perdre du temps. A peine l’identité déclinée, et la condamnation tombe. La condamnation à mort, bien sûr. On les emmène, soit au Prado, soit au Retiro, ou derrière l’église de Buen Suceso. Ou encore au couvent de Jésus, sur la montagne du Principe Pio.
La nuit est tombée, et en même temps la peur qui s’étend sur la ville. Le silence, seulement troué de salves. On fusille, on n’arrête pas de fusiller. Ceux du Principe Pio, Goya les a vus encore. Sous son pinceau, pour l’éternité, cet Espagnol en chemise et tête nue, invectivera les bourreaux en étendant les bras, cependant que près de lui un moine agenouillé adresse à Dieu une ardente prière. Dans l’ombre, qui les oublierait, ces visages encolérés, ces bouches tordues par l’injure ? Et le peloton groupé, avec ses shakos, ses havresacs. Et cette lanterne qui, pour éclairer la scène, perce la nuit de sa lueur blafarde.
On a dénombré une partie des victimes. On y trouve des palefreniers, des forgerons, des porteurs d’eau, des chevriers, des maçons, des cordiers, des prêtres, un mendiant, un acteur, des femmes, des enfants (tués chez eux), un avocat, un chirurgien, un écrivain public.
Donc, peu de bourgeois.
Du coup, l’affaire se précipite. Ferdinand renonce à la couronne. Charles IV, redevenu roi, remet aussitôt ses États au grand Napoléon. En compensation, il recevra une résidence en France (Chambord) et une rente de six millions. Les biens de Godoy sont garantis. Les infants eux-mêmes abdiquent. Quelques jours encore et Napoléon nommera son frère Joseph roi d’Espagne.
Tout est donc fini ? Tout commence au contraire. L’insurrection du « dos de Mayo » est un signal. L’Espagne tout entière va se lever. Pour s’ouvrir le chemin de Madrid, Napoléon devra livrer plusieurs batailles. Quand il entrera dans la capitale, quand il imposera Joseph comme roi, il croira encore avoir achevé sa tâche. Mais c’est toute l’Espagne qui prendra les armes. Jamais Napoléon ne viendra à bout de la guérilla, arme suprême d’un peuple qui se veut libre.
Murat avait dit : « Le 2 mai a donné l’Espagne à Napoléon. » Le ministre O’Farril répondit : « Dites qu’il l’a perdue pour toujours. »