Mémoires du général baron de Marbot
« En un instant, la foule court aux armes et massacre impitoyablement tous les Français qui se trouvent isolés dans la ville. Presque toutes nos troupes étaient campées hors de Madrid. Il fallait les prévenir et cela n’était pas facile. Dès que j’entendis les premiers coups de fusil, je voulus me rendre à mon poste auprès du maréchal Murat, dont l’hôtel était voisin de mon logement ».
Après quelques péripéties, Marbot retrouve Belliard, chef d’état-major : «J’avais ordre de conduire les divisions sur la place de la Puerta del Sol […]. Elles se mirent en mouvement au galop. Les escadrons de la garde, commandés par le célèbre et brave Daumesnil, marchaient en tête, précédés par les Mameluks. L’émeute avait eu le temps de grossir et on nous fusillait presque de toutes les maisons ».
« En voyant arriver les Mameluks qu’ils redoutaient beaucoup, les Espagnols essayèrent néanmoins de faire résistance ; mais leur résolution ne fut pas de longue durée, tant l’aspect des Turcs effrayait les plus braves ! Les Mameluks, s’élançant le cimeterre à la main sur cette masse compacte, firent en un instant voler une centaine de têtes, et ouvrirent passage aux chasseurs de la garde, ainsi qu’à la division de dragons, qui se mit à sabrer avec furie. Les Espagnols, refoulés de la place, espéraient échapper par les grandes et nombreuses rues qui y aboutissent de toutes les parties de la ville ; mais ils furent arrêtés par d’autres colonnes françaises, auxquelles Murat avait indiqué ce point de réunion. Il y eut aussi dans d’autres quartiers plusieurs combats partiels, mais celui-ci fut le plus important et décida la victoire en notre faveur ».
Dans son palais, Murat reçoit les échos de l’insurrection. S’il ne veut pas être débordé, il sent qu’il doit réagir sur-le-champ. Il dispose de trente mille hommes bien armés. C’est assez pour venir à bout de la canaille. Dans l’instant, les ordres partent et ils sont implacables. Pour commencer, les grenadiers de la garde amènent sur l’esplanade du palais deux canons. On tire une première salve en l’air. La foule ne bouge pas. Alors, on tire dans les rangs compacts.
La mitraille fait des trous béants dans cette chair offerte. Terrorisée, la foule s’est égaillée. Elle se retrouve vers la Calle Mayor et dans les rues voisines. Chacun s’est armé comme il a pu. Des hommes brandissent des piques, des femmes tiennent en main des haches. Des enfants agitent des bâtons. Tout est bon pour se défendre : barres de fer, couteaux. De nouveaux renforts se joignent sans cesse à l’émeute.
Murat, accompagné de son état-major, s’est porté près de la porte San Vicente, non loin du palais royal. De là, il fait face et commande de sa voix de tonnerre où roule l’accent du Lot. Il ordonne que quatre colonnes s’avancent vers la Puerta del Sol et que soit brisée toute résistance. Car c’est là, à la Puerta del Sol, que l’insurrection trouve son épicentre. Or, au 9 de la place, Goya, horrifié, va assister à la tragédie. D’immortels chefs-d’oeuvre naîtront de cette confrontation.
A travers Goya, nous voyons charger les lanciers , les mamelouks aux uniformes exotiques. Nous voyons le peuple résister par tous les moyens, continuer à écraser les Français sous tous les projectiles existants. Des insurgés ont pris place dans les caves. A travers les soupiraux, ils tirent presque à bout portant sur les hommes de Murat. D’autres, sautant en croupe derrière les mamelouks, les poignardent. En revanche, cavaliers et mamelouks sabrent avec furie. De part et d’autre, on abat l’adversaire dans une horreur sanglante.
Et toujours ce même cri : Mort aux gavachos !