Napoléon a coutume de dire que le soldat se bat bien s’il a « le ventre plein ».
Vœu pieux. Les lenteurs de l’intendance privent les hommes du minimum vital. Pourtant, ces intrépides résistent à l’inanition aussi bien qu’à l’ennemi.
Le célèbre chirurgien Percy donne dans ses Mémoires quelques détails sur la façon dont il se nourrissait : Nous avons fait un grand feu de bivouac, nous y avons préparé notre dîner, une bonne soupe au lard et un mouton avec une poule, tout cela est mangé debout, un gros arbre pour table. Nous avons fait fondre deux grosses tablettes de bouillon dans un grand pot d’eau bouillante : j’ai trouvé cette soupe bonne et savoureuse (… )
Ce soir j ‘ai mangé une soupe abondante, ensuite une livre de bon pain avec du beurre, j’ai bu deux verres de bon vin rouge, j’ai eu une excellente tasse de café à l’eau faite dans ma cafetière de campagne (…)
Dans le hameau où nous avons bivouaqué, il n’y avait ni eau potable, ni maison habitée : nos gens ont mangé de tout ; j’ai vu de jeunes soldats boire de l’eau de mare infecte et dévorer des viandes immondes et des pommes de terre germées. En me levant à cinq heures, men jeune ami m’a préparé deux tartines, un verre de mon bon vin rouge et une tasse de café ! Jugez si j’ai bien déjeuné. (…)
La viande de ces animaux -vaches et porcs – avait été cuite, selon notre usage, avec des portes, des meubles, des roues de voiture, des vans, des instruments aratoires, à défaut d’autre bois sec, de sorte que le pauvre habitant en rentrant dans la maison ne retrouve ni bestiaux, ni charrue, ni vivres, ni ressources quelconques.
A cette époque les morceaux de viande préférés des soldats étaient ce que l’on nomme aujourd’hui en boucherie les abats : foie, langue, coeur etc… et l’on se régalait particulièrement d’une bonne pinte de sang chaud !
Après la sanglante bataille d’Essling, l’armée française se réfugia dans file Lobau qui fut surnommée par les soldats « l’île de misère » car la nourriture y faisait cruellement défaut. Larrey et Pils confirment le même détail : il fallu absolument tuer des chevaux pour nourrir les soldats et les blessés, comme les soldats excédés de fatigue par une bataille de 18 heures avaient abandonné bidons et marmites, il fallu faire cuire la soupe dans les cuirasses et dans les casques !
Le musicien Girault raconte dans ses Mémoires ses problèmes de nourriture dans l’île Lobau : . Je trouvai un bidon de graisse ; puis comme dans le village (Essling), il y avait beaucoup d’oies qui avaient été plumées la veille et vidées par les premiers arrivants, je ramassai parmi les débris, des foies et des cœurs qu’on avait dédaignés et qui furent pour moi les éléments d’un bon fricot où la graisse ne manquait pas. Un de mes confrères avait trouvé de la farine, nous en fîmes une galette que nous fîmes cuire dans la cendre. Notre festin, quoique bien modeste, attira cependant des convives. ( …)
J’avais l’estomac bien vide et le corps bien faible. Il me restait ta moitié d’un biscuit. Je le partageai avec mon camarade, ce qui ne fit qu’aiguiser notre appétit, puis j’allai à la découverte. Je trouvai des soldats qui étaient en train de dépecer un superbe cheval de cuirassier. Je me mis de la partie, et comme j’avais un bon couteau, je parvins à enlever un bon morceau de cuisse. Je courus montrer à mes camarades ma provision qu’ils auraient prise pour de la viande de bœuf si j’en avais enlevé la peau. Il s’agissait de la faire cuire, pour cela il fallait un vase quelconque et nous n’avions rien. On chercha, et l’un de nous, apporta un espèce d’arrosoir qu’il avait trouvé sur le sac d’un soldat mort. Nous fîmes du feu, et au bout de deux heures, nous nous mîmes à manger notre viande à moitié cuite et sans sel. Ce n’était pas bon et j’en mangeai bien à contrecœur, mais la faim fait surmonter bien des dégoûts.