Les demi-mesures d’un gouvernement encore aux mains des Girondins pour quelques semaines n’y changent rien. À la mi avril 1793, un mois après qu’ils ont pris les armes, rien ne paraît devoir résister aux insurgés. Les garnisons républicaines tombent les unes après les autres.
Dotés de chefs expérimentés qui veulent en faire d’authentiques soldats, les paysans insurgés sortent de leurs paroisses non plus pour entrer dans des bourgs voisins mais pour conquérir des chefs-lieux hors du territoire qu’ils contrôlent.
LES TAMBOURS DU ROI
Né à Lyon en 1737, Jean-François de Berruyer est officier de dragons lorsque survient la Révolution, à laquelle il se rallie très vite et qui en fait un officier général.
Commandant des troupes de Paris en 1792, il est chargé du maintien de l’ordre dans la capitale. C’est à ce titre que, le 21 janvier 1793, il ordonne aux tambours massés autour de l’échafaud sur lequel monte Louis XVI de couvrir la voix du Roi lorsque celui-ci veut s’adresser à la foule avant de mourir.
Les jours suivant sa défaite de Chemillé le 11 avril 1793, Berruyer subit d’autres revers. Accusé d’avoir laissé son artillerie aux mains des insurgés, mais aussi de porter des tenues « incompatibles avec la simplicité qui devrait distinguer les armes d’un vrai républicain », il doit s’en expliquer devant la Convention.
Le 23 mars 1793, l’Assemblée apprend avec stupeur la défaite subie par Marcé le 19 mars à la Guérinière des mains de ces loqueteux de Vendéens. C’est de ce jour seulement, parce que l’événement a eu lieu au cœur de la Vendée, que l’on parlera désormais de guerre de Vendée. Marcé, destitué et arrêté par les commissaires de la Convention, sera guillotiné.
On commence à comprendre à Paris qu’il s’agit d’une guerre. Des troupes hétéroclites, des généraux de valeur inégale sont dépêchés dans l’Ouest. Le général ci-devant de Berruyer. commandant en chef de l’armée de réserve, est nommé à Angers au commandement des troupes de la rive gauche de la Loire avec mission d’exterminer les rebelles. On lui croyait du talent militaire, notera perfidement le conventionnel vendéen Mercier des Rochers, parce qu’il commandait la Garde nationale le jour de l’exécution de Louis XVI. C’est lui qui avait ce jour-là ordonné à Santerre le roulement de tambours qui couvrit la voix du roi. La République lui en était reconnaissante. On envoie à Nantes le colonel Beysser, soldat de fortune, efficace, déterminé qui ne fera pas de quartier aux prisonniers. On dépêche aux Sables le général Boulard qui sera l’un des meilleurs généraux républicains et mènera la vie dure a Charette.
Parmi les renforts envoyés à l’Ouest, il y a le bataillon des Volontaires de la Bastille commandé par Rossignol et par le fameux Santerre, commandant de la Garde nationale parisienne, il y aussi les volontaires de la Touraine commandés par le révolutionnaire prince Charles de Hesse. Tous ces renforts, assez importants en nombre mais médiocres en qualité, ne vont pas empêcher les Vendéens de voler de succès en succès, tout en connaissant leurs premiers revers.
Le 31 mars 1793, les cloches de Pâques sonnent dans toute la Vendée militaire. Les bons prêtres ont célébré la Résurrection dans les églises retrouvées et les insurgés célèbrent la fête dans leur foyer qu’ils ont regagné, fiers et contents d’avoir donné une leçon aux Bleus. Mais, une semaine plus tard, le 7 avril, le tocsin s’ébranle. Pendant quatre jours il va résonner dans le Bocage. appelant les hommes à quitter leur village pour gagner les points de rassemblement. Car l’ennemi approche.
Le 9 avril, c’est au tour des cloches du Marais de se mettre en branle car la division de Boulard est arrivée à Saint-Gilles-Croix-de-Vie évacué par les Vendéens. Toute la Vendée est sous les armes. Le 11 avril, Berruyer se porte dans les Mauges avec 17000 hommes. Il se dirige directement vers Chemillé où l’attendent en force les Vendéens d’Elbée. Après avoir traversé le village de Barré et fusillé tous ses habitants, il s’établit sur la colline au nord de l’Irôme. Il a divisé sa troupe en deux colonnes ; il en commande une et a confié l’autre à Duhoux, neveu du général Duhoux d’Hauterive. Les Vendéens l’attendent en force à Saint-Pierre-de-Chemillé. Les gendarmes foncent furieusement sur les retranchements élevés devant le petit bourg et les franchissent. Les paysans reculent. D’Elbée qui commande a beaucoup de peine à ressaisir ses hommes : déjà, il ne songe plus qu’à mourir en combattant. Un événement imprévu va changer la face des choses. La nuit est venue. Les prisonniers républicains faits dans les batailles précédentes, et qui sont attachés, profitent de l’obscurité pour essayer de s’échapper. Comme ils atteignent les abords des lignes républicaines, les soldats de Berruyer les prennent pour une formation royaliste arrivant en secours des troupes engagées. Ils s’émeuvent et fléchissent. D’Elbée aperçoit leur erreur, tempête, supplie, menace, redouble d’efforts. L’armée républicaine bousculée recula en désordre. Chacun des adversaires s’attribua la victoire.
Mais le lendemain de cette rencontre connue sous le nom de Grand choc de Chemillé, Stofflet doit abandonner Coron (12 avril) et ses Vendéens se replient sur Tiffauges. Le même jour.
Toujours en Maine-et-Loire, Bonchamps cède au Mesnil-en-Vallée et se replie à Beaupréau, d’où il est chassé par le général Gauvillier qui s’empare ensuite de Saint-Florent-le-Vieil et brûle la Baronnière, son château. Les Mauges paraissent aux mains des Bleus. Cholet est menacée. C’est ce jour-là, le 12 avril que le jeune Henri de La Rochejaquelein offre son épée à d’Elbée et Cathelineau qui, démoralisés, lui conseillent de rentrer chez lui. Mais le lendemain, 3000 paysans l’acclament dans la cour de la Durbellière et se mettent sous ses ordres. Il lance ses fameux mots :
Mes amis, si j’avance suivez-moi ; si je recule. tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi.
Il va aussitôt faire ses preuves contre Quétineau. Tandis que Berruyer et Gauvillier opéraient dans les Mauges. le général républicain Quétineau avait quitté Bressuire. Le 13 avril, il campe sur la hauteur des Aubiers (Deux-Sèvres). C’est le danger qu’il représente qui a mobilisé La Rochejaquelein et toutes les paroisses avoisinantes. Quétineau ne résiste pas a la ruée furieuse de « Monsieur Henri » et de ses 3000 hommes qui ne disposent pourtant que de quelques dizaines de fusils de chasse. Enfoncé par la fougue des paysans. par leurs bâtons et leurs faucilles, il se replie vers Bressuire.
La Rochejaquelein rallie Tiffauges. sur la rive gauche de la Sèvre nantaise. où s’est réfugiée l’armée d’Anjou. Elle est démoralisée cette armée. Sa situation, il est vrai, n’est pas brillante. A 20 km de là, sur la rive droite de la Sèvre. les colonnes républicaines de Gauvillier, de Berruyer, de Leygonnier. occupent le cœur des Mauges et sont en contact avec Chalbos qui, parti de la région sablaise. remporte des succès en haute Vendée. Le 17 avril, elles attaquent d’un seul mouvement vers Beaupréau. Chemillé et Cholet. Mais le 19 avril plus de 10000 Vendéens. brusquement repassés sur la rive droite de la Sèvre tombent sur les troupes de Leygonnier, à Vezins, et après trois heures de combat les mettent en déroute. Berruyer peu agressif. renonce à lui prêter main-forte et se replie. Apres 24 heures de résistance héroique au château de Bois Grolleau, la compagnie de grenadiers saumurois de Trébert est contrainte de se rendre par le feu qui embrase la toiture.
Le 22 avril, les Vendéens de Bonchamps déferlent sur Beaupréau que Gauvillier, isolé par la défaite de Leygonier et par le repli de Berruyer. doit abandonner avec beaucoup de cadavres et 1200 prisonniers.
Berruyer bat en retraite jusqu’aux Ponts-de Cé, suivi de Gauvillier. Leygonnier recule vers Saumur. Les Mauges sont libres. 25000 Vendéens se préparent, fiers et pas loin de se croire invincibles, à marcher sur Vihiers et Bressuire.
Berruyer, bouc émissaire de la défaite des Mauges. est mis à la retraite. On l’eût sans doute guillotiné sans le souvenir du roulement de tambour du 21 janvier. Il finira paisiblement gouverneur des Invalides sous l’Empire.