Une des meilleures descriptions des méthodes chouannes est celle de l’abbé Girault dans son livre sur Rochecotte :…
Au début, quand la chouannerie était seulement un geste de défense, les chouans se cachaient dans les bois pour n’être pas soldats ou se contentaient d’entraver par des manifestations hostiles les séances de recrutement. Mais quand ils eurent, par le nombre et l’armement, pris conscience de leur force, ils passèrent à l’offensive. On les vit alors par petits groupes, rarement par bandes de quelques centaines d’hommes, parcourir prudemment les campagnes, occuper les hameaux isolés, s’aventurer de quelques lieues sur les grandes routes et, dès qu’ils étaient les maîtres d’une région, forcer les soldats républicains à se confiner dans les villes ou les gros bourgs, lever de force les jeunes gens, molester les patriotes et les fonctionnaires. Le coup accompli, ils se dispersaient dans les maisons amies ; le lendemain, au point du jour, le capitaine rassemblait sa compagnie et rejoignait au lieu convenu les autres formations.
La tactique des chouans consistait essentiellement à éviter le combat de front pour ménager les hommes, et à surprendre l’adversaire pour s’assurer le maximum de succès. C’est la guerre d’embuscade et d’usure, une « guerre des nerfs » qui harcèle, décourage, désorganise l’ennemi, la seule guerre qui convienne aux faibles. Elle avait réussi aux Bretons, aux Allobroges, aux Arvernes. Tout l’art du chouan, écrit Tercier, consiste à s’embusquer au meilleur endroit, à se précipiter sauvagement sur l’ennemi s’il chancelle et à le poursuivre sans relâche s’il s’esquive ; au contraire, s’il tient ferme, à l’abandonner, à décrocher, à prendre ce qu’on appelle la déroute, un par un, à l’égrené, par vingt chemins différents, à travers hales, champs et bois.
« Dès qu’il a cessé de combattre, il n’est plus astreint à aucune règle, il s’en va où il veut et par les sentiers qu’il juge les moins dangereux ; s’il est pressé il fuit avec la rapidité du daim et ne craint pas d’être rejoint, car le soldat républicain ignore le pays, et son lourd équipement comme la discipline l’empêchent de courir à travers champs.
Mais la guérilla n’est possible que dans un pays connu. Aussi le chouan s’accroche à son sol, dont seul il connaît les chemins creux, les « rotes » le long des haies épaisses, les carrefours trompeurs, les masures hospitalières ou hostiles, les « terrouesses » creuses, et jusqu’aux chiens dressés contre les Bleus. Rien ne lui répugne davantage que de quitter son pays car il perdrait aussitôt toute assurance ».
La chouannerie ne change pas de caractère en passant aux ordres de Puisaye : une guerre de clair de lune menée sur la bruyère au chuintement du hibou par des soldats fantômes, c’est la figure déjà connue et seulement intensifiée dans son expression, qu’elle va continuer de présenter jusqu’à La Mabilais. D’où la même difficulté pour la saisir, la fixer. On pense la tenir et elle échappe. Les généraux républicains, les représentants aux armées, les administrateurs, tous gémissent sur cette mobilité incroyable de l’adversaire, sur sa faculté presque fabuleuse de disparaître, de se volatiliser.
Parti de bandits, écrivaient déjà sous la Terreur les délégués de la Convention, disséminés en pelotons plus ou moins forts, ils se répandent dans les campagnes, sur les routes et dans les champs. Sont-ils en nombre, ils attaquent nos postes ; sont-ils isolés, c’est à l’abri des haies qu’ils tirent leur coup de feu sur les voyageurs, et principalement sur nos soldats.
Ils ont plutôt l’air d’agriculteurs que de brigands embusqués. Tel a été saisi, un hoyau à la main, qui avait caché son fusil derrière un buisson…
Un uniforme les trahirait. Les Bleus ont le leur. Même en haillons, quand l’habit n’a plus ni forme ni couleur, quand la guêtre ne tient plus au soulier rattaché par des ficelles, leurs baudriers en croix, leurs briquets à poignée de cuivre, le balai de crin rouge de leurs vieux tricornes, la cadenette qui leur tape le dos et leurs longues moustaches gauloises les dénoncent à trois cents mètres.
Mais les chouans ! Sauf les déserteurs, dont beaucoup portent encore l’uniforme de l’ancienne armée, les autres, ne sauraient en être distingué à l’œil nu.