Le deuxième des grands amis de Robespierre; le fer et le feu dans un corps d’infirme.
Élu à la Législative malgré son handicap physique, Couthon siégea à la gauche de l’Assemblée. Il fit la connaissance de Robespierre, mais il fréquentait aussi les époux Roland, grâce à un ami commun auvergnat. Il fut réélu à la Convention, et, quand Louvet commença ses attaques directes contre Robespierre, il rompit avec les Roland et devint le soutien indéfectible du champion de la cause des patriotes. Il vota la mort du Roi, puis entra au Comité de Salut Public juste avant la proscription des Girondins qu’il avait tant combattus. Quoique ne se déplaçant plus qu’en fauteuil roulant, il fut envoyé en mission en août à Lyon. Il passa dans son département pour y recruter des troupes contre les rebelles de Lyon, et arriva devant la ville au début d’octobre 1793; dans la nuit du 8 au 9, Lyon se rendit aux troupes envoyées par la Convention. Il la pacifia, fit juger les rebelles, mais ne put se résoudre à exécuter le décret du 20 octobre ordonnant la démolition : Lyon ne fut pas rasée.
Rappelé à Paris, il réintégra le Comité de Salut Public, prit une grande part à la chute des Hébertistes et des indulgents, et fut à l’origine de la loi, dite de Prairial (10 juin 1794), qui supprimait presque toute garantie judiciaire pour les accusés. A partir de ce moment, certains de ses collègues résolurent de se débarrasser de lui. Quand Robespierre vint à l’Assemblée, le 8 Thermidor An II (26 juillet 1794), lire son discours pour réclamer la punition des « traîtres », Couthon l’appuya. Le lendemain, il partageait le sort de ses amis Robespierre et Saint-Just.
Nous sommes à la Convention : les deux Robespierre, Saint-Just, Lebas, sont mis hors la loi ; on les pousse à la barre ; mais Couthon qui partage leur sort, Couthon qui, pendant l’orage, s’est tenu forcément immobile, sur le banc, au bas de la tribune, les yeux fixes sur ses pauvres jambes d’enfant malingre, qui s’est chargé de Couthon ?
Son gendarme, sans doute, l’aura pris sur ses épaules et porté hors du prétoire où la chaise roulante ne pouvait entrer. Et quand l’arrestation est décrétée, quand on entraîne Robespierre à la prison du Luxembourg, son frère à la Force, Lebas à la Conciergerie, Saint-Just aux Écossais, qui donc encore escorta Couthon à l’ancien couvent de Port-Royal qui lui était assigné comme lieu de détention ? Le voit-on traversant toute la ville, roulant son fauteuil, se traînant lui-même en prison ?
Le voici écroué, l’émeute s’éveille dans Paris ; un ordre de la Commune délivre Robespierre et les autres ; quant à Couthon, on l’oublie d’abord.
Vers une heure du matin seulement, ses amis songent à lui et le convoquent à l’Hôtel de Ville ; on le replace sur son tricycle et le voilà, sous une pluie torrentielle, dévalant à toute vitesse la pente rapide de la rue Saint-Jacques, tandis que courent à ses côtés les deux gendarmes qu’on lui avait dépêchés ; les procès-verbaux nous donnent leurs noms : ils s’appelaient Muron et Javoir.
La place de Grève est couverte « d’hommes, de baïonnettes, de piques et de canons ». Cette foule angoissée et hurlante s’écarte devant l’apparition diabolique, dans la nuit déchirée d’éclairs, de ce cul-de-jatte trempé d’eau, le corps en avant, les dents serrées par l’effort, haletant, les coudes levés, les poings emportés dans le mouvement giratoire qui actionne sa mécanique, s’échouant enfin devant le perron de l’Hôtel de Ville dont les hautes fenêtres découpent dans l’ombre leurs grands rectangles lumineux.
Quelqu’un prit le Conventionnel sur son dos et le monta au premier étage ; ici, voici le récit d’un espion qui se trouvait là et qui conte ainsi l’entrée de Couthon :
Dans la salle des séances (du Conseil général), les deux Robespierre étaient l’un à côté du président Lescot-Fleuriot, l’autre auprès de Payan, agent national. Couthon y fut porté un instant après et, ce qui est à remarquer, c’est qu’il était encore suivi de son gendarme. En arrivant, il fut embrassé par Robespierre… qui prit aussi la main du gendarme et lui dit :
« Brave gendarme, j’ai toujours aimé et estimé votre corps ; allez sur la porte et faites en sorte de continuer à aigrir le peuple contre les factieux. »
Le conseil était bon, sans doute, mais c’était un mauvais tour que jouait là Robespierre à Couthon, qui, privé de son porteur, se trouvait à la merci du premier venu.
Quand, une heure plus tard, l’Hôtel de Ville fut envahi par les hommes de la Convention, quand, dans l’affolement qui suivit le coup de pistolet de Merda, Robespierre jeune se jeta par la fenêtre, que Lebas se fit sauter la cervelle, que Henriot s’engouffra dans une cour sans issue, le misérable Couthon, sans armes, sans aide, sans soutien, incapable de se lever du siège où on l’avait placé, se laissa choir sur le parquet, et, se servant des mains comme .de béquilles, traînant ses jambes mortes, parvint à se pousser sous une table où il se cacha.
Quelqu’un, pourtant, l’y découvrit ; on le jeta comme un paquet sur le palier de l’escalier, au bord des marches ; un mouvement qu’il fit le précipita, il roula jusqu’au bas des degrés de pierre : on le trouva, au matin, étendu dans une petite cour de service vers laquelle il avait rampé.
Immobile, le visage collé contre le mur, il faisait le mort ; il avait le front fendu ; quand les hommes le secouèrent pour le mettre debout, il essaya de s’enfoncer dans le corps la lame d’un canif qu’il tenait tout ouvert à la main.
On le lia sur une civière et on le porta à l’Hôtel-Dieu où le chirurgien Dessault pansa ses blessures ; puis, par les quais, on l’emmena aux Tuileries. Il fut laissé, sur son brancard, au pied de l’escalier du Comité de salut public, sous le porche de la cour : un groupe de citoyens se forma autour de lui ; il était alors neuf heures du matin.
Depuis six longues heures déjà, Robespierre, blessé, agonisait, étendu sur une table, dans la salle d’audience du Comité : Payan, Saint-Just et Dumas étaient là également, assis dans l’embrasure d’une fenêtre.
L’ordre vint de conduire tous ces vaincus à la Conciergerie, et le cortège se forma, tragique ; c’était d’abord Robespierre que quatre hommes portaient dans un fauteuil ; un bandage encadrait son visage.
Il ouvrait souvent les yeux et n’avait pas perdu ses forces, car, en descendant l’escalier du Comité, il assena à l’un des citoyens qui soutenaient son fauteuil un violent coup de poing sur la nuque.
Les porteurs de Couthon emboîtèrent le pas ; derrière le brancard marchaient Dumas, reconnaissable à sa grande redingote noire, d’étoffe légère, ressemblant à une soutane ; Payan, très correct avec son col blanc et son habit gris ; Saint-Just, enfin, « tiré à quatre épingles », dans son frais costume . d’été, la cravate coquettement nouée, l’habit de couleur chamois, le gilet fond blanc et la culotte de drap gris-blanc.
Il ne semble pas, d’ailleurs, que ce défilé ait beaucoup ému les Parisiens ; quelques curieux suivirent, mais la foule ne s’attroupa point. On sait seulement qu’arrivés au terre-plein du pont Neuf, les porteurs de Robespierre s’arrêtèrent pour souffler ; ils déposèrent le fauteuil devant le piédestal de la statue détruite. Il regarda les gens qui l’entouraient et haussa les épaules, très visiblement.
Vers quatre heures du soir, les vingt-deux condamnés du jour, dont était Couthon, furent conduits à l’échafaud ; on voyait le cul-de-jatte dans la troisième charrette, les jambes pendantes, le front cerné d’un bandeau, l’air consterné, le teint livide.
Lorsqu’on arriva à la place de la Révolution, deux commis de Sanson le saisirent par les bras et par les pieds pour le porter sur la plate-forme. Ce fut par lui que commença l’exécution.
Dans l’impossibilité de l’attacher sur la planche de la manière usitée, on l’y plaça verticalement (?); mais son corps atrophié se prêtait mal aux mouvements et les essais durèrent un quart d’heure !
Un quart d’heure d’angoisse terrible pendant lequel la douleur arracha au supplicié des cris déchirants que couvraient les huées de la foule. Il mourut enfin ; après lui vint le tour de Robespierre jeune, puis dix-neuf autres, puis Maximilien ; ce fut Lescot-Fleuriot qui monta le dernier.