Des affiches ont été placardées dans toute la ville pour annoncer l’évènement. Anticipant l’afflux de curieux, on transfère la guillotine de l’étroite place du Carrousel à la place de la Concorde.
Le valet s’activa, car il voulait, par ce matin glacial du 21 janvier 1793, qu’une bonne brassée réchauffât l’affreuse chambre. Quand ce fut fait, il s’approcha du lit.
Louis XVI serre la main de Cléry, puis se laisse coiffer. Il ôte de sa montre un cachet et le place dans son gilet. Il retire de son doigt l’anneau du sacre, troque son vêtement de nuit contre une chemise fraîche, met un gilet blanc déjà porté la veille. Il se laisse passer son habit, en retire son portefeuille, sa lorgnette, sa tabatière et quelques menus objets. Les municipaux ne perdent pas de vue la moindre de ces opérations. Après quoi, le Roi s’entretient seul à seul dans le cabinet de la tourelle avec M. de Firmont.
Cléry, sans la moindre aide, tire jusqu’au milieu de la chambre la commode érigée en autel. Il étend les linges, prépare les ornements, puis vient demander à Sa Majesté Très Chrétienne la permission de servir la sainte messe, tout en confessant qu’il ne sait pas les réponses de mémoire. Le Roi tient un missel, l’ouvre, cherche le chapitre, le désigne du doigt à son valet et prend un autre livre sacré.
Il entend toute la messe à genoux, reçoit l’hostie, s’en retourne en compagnie de l’officiant dans le cabinet de la tourelle. A sept heures, il attire Cléry dans l’embrasure de la fenêtre :
Vous remettrez ce cachet à mon fils, cet anneau à la Reine ; dites-lui bien que je la quitte avec peine. Ce petit paquet renferme des cheveux de toute ma famille ; vous le lui remettrez aussi. Dites à la Reine, à mes chers enfants, à ma soeur, que je leur avais promis de les voir ce matin, mais que j’ai voulu leur épargner la douleur d’une séparation si cruelle. Combien il m’en coûte de partir sans recevoir leurs derniers embrassements ! Je vous charge de leur faire mes adieux.
Un quart d’heure plus tard, il réclame des ciseaux pour que Cléry puisse lui couper les cheveux. Les municipaux tiennent conseil et rapportent un refus. Certains, toutefois, admettent que le serviteur accompagne son maître pour le déshabiller au pied de la machine. L’opinion contraire prévaut. Un commissaire se donne la joie de déclarer en regardant le captif :
— Le bourreau est assez bon pour lui.
Vers huit heures et demie, Santerre, accompagné de dix gendarmes, se fait ouvrir les portes du donjon, pénètre jusque dans l’antichambre et range son monde sur deux rangs. Louis XVI paraît :
Vous venez me chercher ?
Oui.
En traversant la première cour, le Roi regarde l’étage où la République tient serrés les objets les plus chers à son coeur. Il réprime son émotion, se félicitant sans doute de s’être conformé, non sans efforts, aux objurgations de l’abbé Edgeworth. Un ultime entretien eût compromis tous les courages.
A cette heure, Marie-Antoinette sait qu’elle ne reverra plus son mari. Au moment de l’ultime rendez-vous, un municipal n’est-il pas venu quérir un missel de Madame Elisabeth pour la dernière messe ?
A l’entrée de la seconde tour, stationne une voiture. On parlera d’un véhicule de place, du carrosse du maire Chambon, et avec plus de probabilité, de l’équipage du ministre des Finances, Clavière. Un certain Jean Lebrasse, lieutenant dans la nouvelle gendarmerie, et un nommé Muret, maréchal des logis du même corps, attendent.
Dans la voiture, Louis XVI et son confesseur prennent place sur la banquette d’honneur, les gendarmes sur celle du devant. Le Roi s’est abstrait de toutes contingences. Il prie.
On roule plus d’une heure. Lorsqu’on parvient à l’entrée des Champs-Elysées, face aux Tuileries, la voiture s’arrête. Le Roi dit à M. de Firmont :
Nous voilà arrivés si je ne me trompe.
Déjà, un valet de l’exécuteur et un municipal ouvrent la porte. Louis XVI, avant que de descendre, s’adresse d’un ton de maître à ces gens :
Messieurs, je vous recommande Monsieur que voilà : ayez soin qu’après ma mort, il ne lui soit fait aucune insulte.
Comme il ne reçoit pas de réponse, il élève la voix pour réitérer son injonction. Des deux interpellés l’un ose l’interrompre avec une inquiétante désinvolture :
Oui, oui, nous en aurons soin. Laissez-nous faire.
Aussitôt qu’il est descendu, les aides veulent s’emparer de ses vêtements, il les repousse, quitte lui-même son habit, ouvre le col de sa chemise et, pour dégager le cou, la rabat sur ses épaules. Lorsque les bourreaux tentent de lui saisir les mains, il les retire, non sans vivacité :
Que prétendez-vous ?
Vous lier.
Me lier ! Non, je n’y consentirai jamais. Faites ce qui vous est commandé, mais vous ne me lierez pas.
Les bourreaux vont-ils réclamer de l’aide ? Un atroce pugilat s’ensuivra-t-il ? Louis XVI jette vers M. de Firmont un regard interrogateur. Alors, le prêtre trouve les seules paroles possibles pour apaiser son pénitent :
Sire, je vois dans ce nouvel outrage un dernier trait de ressemblance entre Votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense.
Louis XVI acquiesce :
Assurément, il faut son exemple pour que je me soumette à pareil affront. Et à ses tourmenteurs : faites ce que vous voudrez, je boirai le calice jusqu’à la lie.
C’est le 20 janvier, veille de son exécution, que le Roi vit pour la dernière fois la Reine, le dauphin, Mme Royale sa fille, et Madame Elisabeth sa soeur. L’entrevue dura deux heures (de 8 heures et demie à 10 heures et quart) sous la surveillance constante des gardiens.
C’est le 20 janvier, veille de son exécution, que le Roi vit pour la dernière fois la Reine, le dauphin, Mme Royale sa fille, et Madame Elisabeth sa soeur. L’entrevue dura deux heures (de 8 heures et demie à 10 heures et quart) sous la surveillance constante des gardiens.