Pour bien marquer l’esprit égalitaire de la nouvelle ère, la Convention décréta le 10 brumaire an II (31 octobre 1793) que toutes dénominations de villes, bourgs, villages étaient supprimées et que celles de communes leur seraient substituées.
Le cas de Joseph Sauveur
Le 10 juin 1793, Lakanal au nom du Comité d’instruction publique, fit un rapport sur un acte d’héroïsme : « Joseph Sauveur, président du district de La Roche-Bernard tombe entre les mains des rebelles, ils veulent le forcer à blasphémer contre la liberté. Ils lui font éprouver tout ce que l’aristocratie a de plus cruel, ils lui coupent les doigts des mains et des pieds, ils le jettent enfin dans un brasier ardent ou il expire en pressant contre ses lèvres sa médaille civique. »
Au martyrologe des saints catholique.. les Montagnards substituaient un martyrologe républicain. Ce texte s’inscrit dans l’effort de propagande pour présenter l’insurrection paysanne vendéenne comme monstrueuse. Et Lakanal conclu : la ville de La Roche-Bernard s’appellera désormais La Roche-Sauveur. Et Sauveur fut inscrit au Panthéon.
Au début de la Révolution, nombre de communes remplacèrent leurs anciens noms par ceux qui évoquaient la philosophie des Lumières. La Liberté enflamma les esprits : Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne) devint BrieLibre, Saint-Nicolas (Manche) Champ-Libre, Mont-Louis (Pyrénées-Orientales) Mont-Libre, Pont-l’Evêque Pont-Libre et, pour mettre un terme à cette énumération fastidieuse, Versailles, « ci-devant résidence des tyrans », s’attribua le titre pompeux de Berceau de la Liberté.
Le culte de la Loi inspira d’autres communes. C’est le cas de Saint-Eloi dans la Nièvre qui tronqua son nom par un calembour « patriotique » et décida de se nommer Loi ! L’idée d’affranchissement sous forme de l’adjectif franc fut maintes fois reprises : Saint-Amour (Jura) devint Franc-Amour, Le Péage-de-Roussillon (Isère) se transforma en Franc-Péage ! Lons-le-Saunier (Jura), en Franciade tout comme la ville de Saint-Denis où reposaient les corps des rois de France.
« L’union des Français » dont l’apogée se situe le 14 juillet 1790, à la grandiose fête de la Fédération à Paris (gauche), émut les imaginations. Des communes voulurent s’appeler soit Union ou Unité voire Réunion.
L’île Bourbon prit donc le nom d’île de la Réunion. Auxi-le-Château (Pas-de-Calais) fut débaptisée à la demande de ses habitants pour le « nom chéri d’Auxi-la Réunion », l’autre surnom rappelant trop la « hideuse féodalité ». Sceaux (Hauts-de-Seine), bourgade marchande de l’Ile-de-France, ajouta fièrement à son nom le qualificatif d’Unité. Hénin-Liétard (Pas-de-Calais) s’attribua généreusement le nom d’Humanité.
Le thème de la Nature étant fort à la mode depuis les Philosophes, des villes et des villages en célébrèrent le culte. Les noms de fontaines, de forêts et de rocs ajoutaient à l’idée d’une nature accueillante et généreuse. De la terre devait surgir « l’Abondance ». La Révolution française même dans ses composantes les plus radicales ne pouvait qu’imaginer une France rurale et sûrement pas industrielle.
Ainsi Saint-Loup-de-la-Salle (Saône-et-Loire) s’appela Arbre-Vert, Cerisay-l’Abbaye (Manche), Cerisay-la-Forêt, Saint-Amand (Loir-et-Cher), Roche-Amand et Saint-Aubin-d’Appenin (Orne), Claire-Fontaine ! Le bon air ou la belle vue inspirèrent également. Aussi les Corréziens de Saint-Solve baptisèrent-ils leur village Air-Salutaire et les habitants de Saint-Germain-en-Laye ( à gauche ) l’appelèrent La Montagne-Bon-Air. Sous la Constituante, les noms de géographie physique furent à l’honneur. Par exemple, Macot (Pyrénées-Atlantiques) adopta le nom de Riant-Coteau, Sainte-Foy-en-Vendée celui de Désert et Langefoy (Savoie) se signala aux passants en s’appelant Cime-Belle.
L’humour et la fantaisie n’étaient nullement absentes dans le choix des intéressés : Saint-Lizague (Indre) s’intitula Vin-Bon, Saint-Eugène (Charente-Maritime) n’hésita pas à prendre le nom d’Ingénuité, Saint-Usage (Côte-d’Or) celui de Bon-Usage ; plus curieusement, Saint-Gildas-de Rhuis (Morbihan) s’appela Abélard, Saint-Avre (Savoie) Antichambre (!), sans oublier le bourg de Françay (Loir-et-Cher) rebaptisé Gaulois !
Quelquefois, pour ne pas modifier les habitudes de la voix et de l’oreille, on garda le nom en supprimant le saint ou bien on chercha la même consonnance : de Sainte-Colombe (Charente-Maritime) ne subsista que Colombe, de Saint-Flour-en-Pompidou. Pompidou. Quand à Saint-Michel-de-Banière (Loir-et-Cher), on le dénomma Seu Michel.