Le serment du jeu de Paume

Une nouvelle sociétée est née.

Dès l’ouverture des Etats généraux, en mai 1789, les députés du tiers état, représentant 90% des Français, avaient réclamé qu’on abandonne le vote par ordre, qui assurait la domination de la noblesse et du clergé, pour passer au vote individuel. Quand Louis XVI fit fermer la salle des délibérations, les députés se retrouvèrent dans la salle du Jeu de palme, à. Versailles, où ils firent le serment de ne plus se séparer avant d’avoir rédigé une constitution.

La salle du Jeu de Paume existe encore. En 1889, elle a été surchargée de bustes et de statues en rapport avec l’époque, et on y avait installé le célèbre tableau de David. Des travaux ont été entrepris en 1987 pour lui restituer son état d’origine, avant le bicentenaire

la suspension des assemblées des trois ordres

Le ministère et le roi, pressés par la noblesse, inquiets des progrès réalisés par le Tiers Etat, désireux de stopper la marche en avant de celui-ci, décidèrent la tenue d’une séance royale, qui, remettant les pendules à l’heure, casserait les décrets rendus par l’Assemblée et immobiliserait chacun à sa place. En attendant que tout fût prêt pour ce jour solennel, on convint de priver l’Assemblée des moyens de délibérer, de prendre de nouveaux arrêtés et d’empêcher la majorité du clergé, prête à se réunir, de rejoindre les députés du Tiers Etat. On évitait ainsi que l’Assemblée ne prît une vigueur nouvelle et qu’elle ne pût définir une stratégie pour répondre à la violence de la séance royale.
Le samedi 20 juin au matin, des placards annonçant la séance royale pour le lundi et la suspension des assemblées des trois ordres furent affichés dans Versailles. Des gardes-françaises furent disposés aux portes de la salle des Etats, où les ouvriers commencèrent des travaux d’aménagement. Le président de l’Assemblée ne fut averti que tardivement, après que la nouvelle se fut largement répandue, par un simple billet du grand maître des cérémonies, le marquis de Brézé, et cette désinvolture, inadaptée à la majesté d’une Assemblée qui se proclamait nationale et qui était, en effet, l’élue de la nation, accrut le dépit des députés.

La salle du jeu de Paume, rue du Vieux-Versailles

La salle du jeu de Paume, rue du Vieux-Versailles

Le président et les deux secrétaires décidèrent de tenir pour nul l’avis si légèrement donné et de tenir séance comme il avait été prévu, à 8 heures. Mais, lorsqu’ils se présentèrent devant la grille où, déjà, de nombreux députés s’étaient réunis, les sentinelles leur barrèrent le passage ; cependant, Bailly et les secrétaires furent autorisés à entrer pour retirer leurs papiers par l’officier de service, qui menaça d’employer la force si les députés tentaient de les suivre. Le président calma l’ardeur des plus impétueux et l’Assemblée, exposée à la fine pluie qui tombait alors, décida de se réunir en un autre lieu pour délibérer.
Trouver un local à même d’accueillir quelque 600 députés n’était pas chose facile, d’autant qu’il fallait faire vite. Les esprits les plus radicaux parlaient déjà de quitter Versailles, de se rendre à Paris, où, sous la protection du peuple, l’Assemblée pouvait se réunir en toute liberté. Cette solution, si elle l’avait emporté, aurait créé l’irréparable : les députés se séparaient du roi, devenaient révolutionnaires, entraient dans l’illégalité. Les modérés, Mounier en tête, se rallièrent donc avec empressement à la proposition de Guillotin de se rendre au Jeu de paume, rue du Vieux-Versailles ; marchant en tête, Bailly conduisit le cortège, suivi et acclamé par une foule populaire, qui approuvait, avec force grondements et vivats, la détermination des députés. Le maître du Jeu de paume, grande salle aux murs dénudés et dépourvue de mobilier, les accueillit volontiers, leur fournit quelques bancs et une table.
L’Assemblée venait donc de remporter une victoire : on avait voulu l’empêcher de se réunir, et elle était là, dans une salle certes sans dignité, mais prête à délibérer.
Les esprits s’échauffaient mais la proposition de Mounier de lier les députés par une serment solennel provoqua l’enthousiasme et l’on rédigea en toute hâte le texte de l’arrêté qui fixait la prestation du serment : « L’Assemblée nationale, considérant qu’appelée à fixer la Constitution du royaume, opérer la régénération de l’ordre public et maintenir les vrais principes de la monarchie rien ne peut empêcher qu’elle continue ses délibérations, dans quelque lieu qu’elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale, arrête que tous les membres de cette Assemblée prêteront à l’instant serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution soit établie et affermie sur des fondements solides ; et que, ledit serment étant prêté, tous les membres, et chacun d’eux en particulier, confirmeront par leur signature cette résolution inébranlable.»

Le serment du jeu de Paume

Aussitôt la cérémonie commença. Bailly, président, prononça le serment le premier, puis les secrétaires, puis les députés. La foule, pressée devant le Jeu de Paume, pouvait suivre chacun des épisodes de la séance et, lorsque la voix de Bailly retentit, prononçant les paroles solennelles, ce ne fut qu’un cri : « Vive l’Assemblée ! Vive le roi ! »
On ne séparait donc pas la volonté du roi de celle des députés, et, si l’Assemblée prenait des précautions contre les violences qu’on pourrait suggérer à Louis XVI et assurait sa sauvegarde, elle ne prétendait pas annuler l’autorité légitime du roi. C’était bien là l’intention profonde des députés, et les spectateurs le comprirent ainsi. Il devenait désormais évident que l’Assemblée ne reculerait plus et saurait, quoi qu’il advînt, résister à toute tentative d’intimidation. Le serment prêté, on voulut qu’il en restât une trace concrète, visible, écrite. Chaque député, dans l’ordre des bailliages, dut signer de son nom. Tous se prêtèrent de bonne grâce à cette formalité essentielle. Tous ? Eh bien, non ! Il y eut une fausse note, une seule, mais il était si important que l’Assemblée parût unanime qu’une seule défection fit l’effet d’une bombe.
Un député, Martin d’Auch, ajouta à sa signature le mot « opposant ». Cet homme, pourtant discret, ne se départit pas d’une résistance opiniâtre à toutes les exhortations. On lui fit sentir toute la valeur d’un refus, qui était un désaveu de la décision de ses collègues. Mais il se tint à son parti, l’expliquant par sa fidélité au principe qui, selon lui, exigeait que le roi donnât son consentement à tous les arrêtés de l’Assemblée. Il ne partageait pas, ici, les sentiments de la majorité, qui estimait que, pour certains actes, l’Assemblée était souveraine et n’avait pas besoin de la sanction du roi. Devant son obstination, le ton monta. Martin fut injurié, hué et, selon un témoin, qui dramatise peut-être un peu, fut menacé et échappa de justesse au poignard. Que faire, cependant ? Le mot « opposant » était bien là, sur le registre, comme une accusation. Le rayer ? Ou le conserver comme la « preuve de la liberté des opinions » ? On se rallia à cette dernière solution, qui, en dépit de son apparent libéralisme, laisse un peu rêveur.

La réponse de Mirabeau à Louis XVI

Allez dire à ceux qui vous ont envoyé que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes

L’Assemblée décidait de se retrouver le 22, jour prévu pour la séance royale, dans la salle des Menus-Plaisirs, et d’y rester après le départ du Roi, pour continuer ses travaux ordinaires.
Mais la séance royale fut ajournée au 23. Qu’à cela ne tienne! L’Assemblée décidait de se réunir le 22, dans l’église Saint-Louis, assez vaste pour recevoir un millier de personnes. A midi, cinq évêques vinrent avertir que la majorité du Clergé avait décidé de rejoindre le Tiers. Cent cinquante ecclésiastiques environ arrivèrent alors, emmenés par l’archevêque de Vienne et celui de Bordeaux. L’émotion fut intense. Deux nobles se faufilèrent derrière les curés, le marquis de Blacons et le comte d’Agoult.
Au matin du 23, de nouveau grand appareil des séances royales. De nouveau, attente des députés du Tiers
( sous la pluie ) devant les portes, pendant que la Noblesse et le Clergé s’installaient confortablement. Trois discours du Roi manifestèrent ses intentions. Il y avait vraiment peu de réformes annoncées! Chaque intervention tomba dans le silence. Louis XVI s’en alla fâché.
Comme convenu, les députés restèrent. A l’injonction de Dreux-Brézé, qui vint répéter l’ordre du Roi de quitter la salle, Bailly répondit calmement : « Je crois que la nation assemblée ne peut pas recevoir d’ordre. » Mirabeau, cette fois, s’emporta : « Allez dire à ceux qui vous ont envoyé que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n’en sortirons que par la puissance des baïonnettes… » Quand Louis XVI apprit le refus de dispersion de l’Assemblée nationale, il haussa les épaules : « Ils veulent rester; et bien, foutre, qu’ils restent! » Dans son esprit, ce n’était que partie remise : il attendait que les régiments « fidèles » arrivent de province et s’installent autour de Paris.

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