La France est en faillite.
Le roi est contraint de convoquer une assemblée extraordinaire des trois ordres – noblesse, clergé, tiers état. Les ministres espèrent faire passer des mesures fiscales d’urgence. Les députés, eux, attendent un changement de régime …
Autant d’espoirs déçus qui se retournent contre le régime.
Entre la décision enfin prise d’ouvrir les États et sa réalisation, une semaine va encore passer, lourde de conflits et de vexations, tandis que le contrecoup de l’émeute des faubourgs Saint Antoine couvre tout cela comme un nuage. Le retard de l’ouverture des États Généraux a fatigué beaucoup de monde, note un député du Tiers.
« Près de huit cents députés s’étaient rendus ile 27 pour assister à l’ouverture des États. Ils ont été grandement surpris, en arrivant, de voir le Roi partir pour la chasse. On avait attendu le dernier moment pour annoncer la remise de la solennité . »
Ce dernier délai sera celui des vexations au lieu d’être celui de la rencontre. Deux facteurs joueront là un rôle essentiel : le costume imposé aux députés, et les modalités de leur présentation au Roi.
Le 27 avril, alors que les tailleurs de Versailles et de Paris étaient déjà débordés, un règlement du marquis de Brézé ordonne au Clergé que les cardinaux soient en chape rouge, les évêques en rochet, en camail, soutane violette et bonnet carré, et tous les autres ecclésiastiques en soutane, en manteau long.
Les députés de la noblesse porteront l’habit à manteau d’étoffe noire « de la saison », un parement et une veste d’étoffe noir, une culotte noire rentrée dans des bas blancs, et un chapeau à plumes blanches retroussées à la Henri IV ; indulgent, le règlement précise que les boutons ne seront pas forcément d’or.
Quant aux députés du Tiers, on les revêt de noir du haut jusqu’en bas, en leur permettant tout juste une cravate de mousseline; leur chapeau, retroussé de trois côtés, sera sans ganse ni bouton. Il s’en serait fallu de peu que leurs costumes n’apparaissent pas vexatoires, puisque le noir, sauf pour le Haut Clergé, est la couleur dominante de cérémonie, par opposition aux vêtements bigarrés des « classes inférieures ». Le costume du Tiers, par exemple, est celui des maîtres de requête et des conseillers d’état. Il les fait remarquer et saluer chez eux. Celui des simples curés, qui s’en rapproche sensiblement, n’est pas plus humiliant en soi. Mais c’est la chamarre accentuée des nobles, notamment le drap d’or et le chapeau à plumes blanches, qui est jugée par les autres comme une affirmation de supériorité. De plus, on interdit aux gens du Tiers État de porter au côté la petite épée symbolique à laquelle ils ont droit habituellement, et ceci pour leur enlever le droit de prétendre à la moindre noblesse. Mais le bas clergé est tout aussi fâché qu’eux de se voir aussi voué au noir, par rapport aux évêques de toutes couleurs, qui appartiennent pourtant au même Ordre.
Le malaise engendré par le costume est doublé par les conditions de présentation au Roi, qui subit le défilé des premiers Ordres dans sa chambre de parade, ouverte à deux battants, tandis que les gens du troisième, après un long piétinement, seront admis à l’entrevoir dans son cabinet, ouvert à un battant.
Louis XVI, à son habitude, et toujours à cause de sa myopie, les regarde passer avec l’intérêt qu’il aurait accordé à un troupeau de moutons. Les huissiers, qui ont mission de presser le défilé, font office de chiens de bergers pour faire aller plus vite. Selon un député d’Anjou, Delandine, « On n’a annoncé à haute voix ni les provinces, ni les bailliages. C’est ce qu’on a appelé ici faire connaître au monarque les représentants de la nation. »
Le Roi ne réagira que quand un député du Tiers, un important laboureur de Rennes, se présentera sans complexe, tranchant sur les autres, dans un costume de couleur, celui qu’il mettait le dimanche. Enfin, Louis XVI s’était déridé et l’avait frappé sur l’épaule, en lui disant :
« — Bonjour, mon bonhomme! ». Il sera comme le « père Gérard ».
A peine arrivé d’Aix, Mirabeau ne cherche pas à se distinguer dans cette agitation protocolaire qu’il dédaigne : « Aujourd’hui, nous ne sommes que des individus à qui le législateur n’a point encore ouvert les lèvres : eh! quand nous pourrons parler, ne nous occuperons-nous pas d’objets plus sérieux que la nomenclature des escaliers et des salons, par où le maître des cérémonies nous a fait passer ? »
Le clergé et la noblesse ne représentaient que 0,42 % et 1,25% des français
Le clergé et la noblesse ne représentaient que 0,42 % et 1,25% des français