Pour les souverains de cette dynastie, il n’était pire déchéance que d’être dépouillé de sa chevelure, symbole à la fois de force physique, mais aussi de pouvoir divin. Une croyance qui remontait aux Germains.
Grégoire de Tours, sans qui on ne saurait pratiquement rien du VIe siècle, témoigne de l’importance de la chevelure chez les rois francs. Assistant à l’exhumation de Clovis, décédé soixante-dix ans plus tôt, il reconnaît à la longueur de ses cheveux que c’était Clovis. Il ajoute que seule une part de ses cheveux, celle qui était sur la nuque, avait été rasée; le reste était intact, avec toutes les mèches. Il indique aussi que la chevelure royale est un point de ralliement. Ainsi, lorsque Bertoald, duc des Saxons, veut démoraliser les troupes franques, il annonce au coeur d’une bataille la fausse nouvelle de la mort de Clotaire. Le roi a une réplique immédiate. En silence, il se montre à ses troupes et ôte simplement son casque : sa longue chevelure blonde le fait reconnaître de ses soldats, même de ceux qui ne l’ont jamais vu.
Son frère Clodomir se fait lui aussi reconnaître par sa chevelure, mais par ses ennemis cette fois. Tombé à terre lors de la bataille de Vézeronce, les Burgondes, le prenant d’abord pour un noble, surent de qui il s’agissait lorsque son casque roula de sa tête et que se mit à flotter librement une abondante chevelure blonde. Clodomir fut mis à mort promptement.
Chez les Francs, seuls les princes de sang royal portent les cheveux longs, ce qui leur vaut le surnom de rois chevelus. Le prétendant Gondovald, qui se dit bâtard mérovingien, arrivant de Byzance en Gaule, se laisse pousser les cheveux. Car la chevelure longue permet d’être reconnu comme un Mérovingien.
Tandis que les guerriers, hommes libres, se rasent la nuque, et que les esclaves sont rasés entièrement, eux portent leur chevelure intacte qui retombe en longues boucles. Revêtus de ce diadème naturel, les Mérovingiens gardèrent jusqu’à l’expiration de la dynastie cet insigne de la royauté. Plus fidèle qu’une couronne, la chevelure reste attachée à la tête du prince, quand bien même celui-ci est décapité. Les « rois chevelus » sont donc autant de Samsons. On comprend dès lors la place que tient la chevelure dans la législation germanique. Dans la plupart des tribus, l’homme libre n’a pas d’autre signe extérieur de sa condition que sa chevelure.
J’aime mieux les voir morts que tondus. C’est par ce cri horrifié que Clotilde répond aux envoyés de ses fils Clotaire et Childebert. Ils viennent de lui proposer de tonsurer ses trois petits-enfants. La phrase, prononcée il y a mille cinq cents ans, paraît incongrue, et rend incompréhensible la réaction de Clotilde.
Veuve de Clovis en 511, la reine est retirée à Tours. Il lui reste deux fils, Childebert et Clotaire, qui se sont partagé le royaume de leur père et celui de leur frère aîné Clodomir. Ce dernier est mort en 524 lors de la bataille de Vézeronce qui l’opposait à ses cousins burgondes. Il laisse trois fils, Théodoald, Gonthier et Clodoald, qui furent confiés à leur grand-mère en attendant d’être en âge de recevoir l’héritage de leur père. Or, leur majorité, 14 ans, approche. Mais les deux oncles, qu’aucun scrupule n’arrête, veulent garder l’héritage de Clodomir. Pour cela ils décident tous deux de supprimer les enfants. Par l’assassinat ? Non. Par le scalp !
Si la tonsure est synonyme de scalp, beaucoup plus douloureux qu’un simple rasage, on comprend mieux la réaction de Clotilde. Mais pourquoi préfère-t-elle voir ses petits-enfants morts que tondus ? Quel curieux choix que de mettre dans la balance la perte de cheveux et la mort. Et pourquoi Clotaire et Childebert, voulant se débarrasser de leurs neveux, privilégient-ils le scalp à la mort? La réaction de la reine entraîne des effets immédiats: deux des enfants sont égorgés sur-le-champ. Le plus jeune, Clodoald, le futur saint Cloud, ne doit son salut qu’à un serviteur de Clotilde qui l’écarte in extremis du pugilat familial. Cloud, cependant, ne garde la vie qu’en acceptant la tonsure et en prenant l’habit religieux.
La loi salique punit sévèrement l’audacieux qui empoigne la chevelure d’un Franc, menaçant d’abîmer la chevelure ou d’en arracher des mèches. Un homme privé de ses cheveux est considéré comme un mutilé. Car si les cheveux longs sont le siège de la puissance royale, la chevelure est celle de la puissance virile tout court. La tonsure par rasage est avant tout une mesure d’humiliation. Les cheveux repoussant rapidement, la dégradation sociale se fait par la décalvation qui prive définitivement un homme de sa force ; s’il est roi, de sa capacité à régner.
Le supplice est fréquent Gondovald, à la fin de son aventure, est livré à la soldatesque qui, après l’avoir percé de lances, lui arrache les cheveux et la barbe. Paulus, duc wisigoth rebelle, vaincu, est aussi scalpé. C’est même une mesure de clémence. En effet, malgré la souffrance qu’elle induit, la décalvation n’entraîne que rarement la mort. Ce que l’on souhaite, c’est rompre le lien qui lie l’individu au divin, faire ainsi disparaître le réservoir de sa force mais aussi l’humilier aux yeux de la population.
Pour l’opération, les Francs, ignorant les procédés de compression et de ligature, possédaient trois façons d’opérer : la coupe aux ciseaux, le dépouillement par plaies contuses frappées à coups de bâton orbes et affectant tout le crâne, enfin le scalp par arrachement plus ou moins complet du cuir chevelu. Cette opération est ingénieuse, simple et fort différente de celle des Indiens d’Amérique. La déchirure entraînant presque toujours une hémorragie, on cautérisait le cuir chevelu au fer rouge, ce qui provoquait des brûlures. Ainsi, les Francs avaient réalisé cette gageure: raser en défonçant, scalper non pas au couteau mais au bâton, tout en préservant la vie.
On comprend mieux à présent le cri d’horreur de Clotilde. Si elle est effrayée de voir ses petits-fils scalpés, elle l’est bien plus encore de les voir privés de leur place au sein de la race élue. Sentant qu’elle ne peut empêcher la folle avidité de ses fils, de deux maux elle choisit le moindre : la mort avec la crinière intacte. De plus, ses petits-fils meurent ainsi en rois.
Cette reine germanique, fille, femme et mère de rois, considérait que la mort valait mieux que cette vie de roi scalpé dénuée de sens. Bien que catholique fervente Clotilde est encore sous l’emprise de ce tabou culturel d’origine païenne. Ce tabou était très puissant puisqu’elle ne pouvait imaginer ses petits-enfants sans leur chevelure. Il est le reflet d’une mentalité, celle de nos ancêtres, issue du paganisme, qui perdurera, malgré la christianisation, jusqu’au VIIIe siècle. C’est ainsi qu’en 751 Childéric III est scalpé sur ordre de Pépin le Bref, décalvation qui marque la déposition de la race issue de Mérovée.
La longueur des cheveux varie suivant le niveau social de l’individu.
La longueur des cheveux varie suivant le niveau social de l’individu.