Naissance du tribunal révolutionnaire

Un tribunal qui «punisse les contre-révolutionnaires et les perturbateurs du repos public», voici ce qu’instaurent les conventionnels les plus extrémistes, les Danton et les Robespierre.
La défense n’existe pas ; les sentences sont exécutoires sur-le-champ. Le Tribunal révolutionnaire enverra à la guillotine plusieurs dizaines de condamnés chaque jour, en France. Et cela pendant plus d’un an…

GEORGES JACQUES DANTON
(Arcis-sur-Aube. 26 octobre 1759 – Paris. 5 avril 1794)

Fils d’un procureur au baillage d’Arcis, Danton, avocat, affiche dès 1789 ses sympathies révolutionnaires. En janvier 1790, il prend la défense de Marat ; en avril, fonde le club des Cordeliers. Elu second substitut du procureur de la Commune le 6 décembre 1791, principal responsable de l’insurrection du 10 août 1792, il devient ministre de la Justice le 11 août 1792.
En 1793, il entre au Comité de salut public puis devient président de la Convention, du 25 juillet au 8 août. Robespierre s’acharne contre lui et le fait arrêter le 30 mai 1794. Après un procès retentissant, il est condamné à mort et exécuté en avril 1794.

Ce que veulent Danton et Robespierre

Un tribunal, voilà ce que veulent les Danton et les Robespierre, un tribunal qui fera légalement leur basse besogne de police. Ils ne songent pas, ces incensés, qu’un parti qui recourt à ces moyens se condamne infailliblement. Le même instrument qui va frapper les adversaires frappera, demain, les amis, car, en révolution, les partisans du jour seront les rivaux les plus acharnés quand la fortune changera de camp.
Durant quarante-huit heures, on en délibère à la Convention. Le 9 mars, on adopte le projet : les magistrats populaires rendront des sentences exécutoires sans appel.
Vergniaud, indigné, se dresse : Lorsqu’on nous propose de décréter l’établissement d’une inquisition mille fois plus redoutable que celle de Venise, nous mourrons tous plutôt que d’y consentir. Je demande que la discussion s’ouvre sur les projets présentés.
Fermez la discussion, et mettez aux voix, crie-t-on de toutes parts.
L’appel nominal pour un pareil décret, intervient Lépeaux, il n’y a que les contre-révolutionnaires qui peuvent le craindre !
Il n’y a que cette mesure qui puisse sauver le peuple, ajoute Amar (qui sera du Comité de Sûreté Générale) ; autrement, il faut qu’il s’insurge et que ses ennemis succombent.
On doit renoncer à contenir ce déferlement sanguinaire : les terroristes auront leur tribunal.

Danton est l'aboyeur de la montagne

Cependant, comme la journée s’achève, la fatigue commence à avoir raison des plus exaltés. Un à un, les députés se lèvent, un peu las, et se dirigent vers la sortie. La séance va se terminer sans que les décisions essentielles soient prises. Soudain, Danton qui ne songe jamais au repos, s’élance à la tribune :
« Je somme tous les bons citoyens de ne pas quitter leur poste ! » s’exclame-t-il. Les députés, surpris, s’arrêtent, et regagnent leurs places. Un profond silence s’établit. L’aboyeur de la Montagne rappelle les périls de la patrie et se montre surpris que l’on balance à punir quelques contre-révolutionnaires.
Le tribunal suprême de la vengeance du peuple punira les ennemis de la liberté.
Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal révolutionnaire. L’histoire atteste cette vérité.
Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être ; organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu’il se pourra, afin que le glaive de la Loi pèse sur la tête de tous ses ennemis. Le tribunal révolutionnaire doit donc être organisé immédiatement et la Convention lui donnera tous les moyens d’action et d’énergie qui lui sont nécessaires.
Le grand Cordelier descend de la tribune. Cet ouragan de phrases sonores a soulevé l’Assemblée. On applaudit mais, comme il est sept heures du soir, les imaginations surchauffées abandonnent cependant les conspirateurs pour des préoccupations plus prosaïques.
Chacun songe au foyer et à la table mise, où la citoyenne s’impatiente devant les assiettes vides. D’un commun accord, l’Assemblée se sépare pendant deux heures. Un tel débat mérite bien que l’on aille prendre des forces.
A neuf heures, à la clarté jaunâtre des quinquets et des chandelles, la discussion renaît. Elle se prolonge durant sept longues heures et, lorsque dans le matin blême et froid les Conventionnels abandonnent la salle du Manège, la nation est dotée du terrible organisme qui fera la Terreur. Son champ d’action est vaste, pratiquement illimité.
Il sera composé d’un jury et de cinq juges. Le juge élu le premier présidera. Il y aura, en outre, un accusateur public et deux substituts nommés par la Convention, comme les juges et les jurés. L’Assemblée les désignera sans les connaître. Elle ignorera même, pour certains, jusqu’à leur domicile.

Organisation du Tribunal Révolutionnaire

On débute avec quatre juges seulement. Le président est un ancien lieutenant particulier de la sénéchaussée de Toulouse, ancien juge de paix natif de Grenade, dans la Haute-Garonne, Jacques-Bernard-Marie Montané. Il a l’ardeur et l’exubérance des méridionaux et cela suffit à le faire nommer. Il a avec lui trois juges : Etienne Foucault, ancien agriculteur dont le nom restera attaché à toutes les infamies du tribunal et qui périra sur l’échafaud après le 9 thermidor ; Dufriche des Magdeleines, natif d’Alençon, dont le frère, Dufriche de Valazé, Girondin notoire, se poignardera en pleine audience pour échapper à la guillotine ; enfin, Antoine Roussillon, naturaliste, chirurgien, canonnier et révolutionnaire farouche. Il a une haine : Silvain Bailly, maire de Paris, qui l’a fait emprisonner après l’affaire du Champ de Mars ; il saura s’en souvenir. Sa voix retentit dans les clubs et les assemblées populaires pour faire l’apologie des massacres de septembre. Durant le peu de temps qu’il restera en fonctions, il soignera (le mot est de l’époque) les accusés. Entendez qu’il se montrera avec eux d’une rigueur impitoyable.
Faure est élu au siège du ministère public. Il démissionne aussitôt. Fouquier-Tinville le remplace. Voyons les comparses, les substituts. Donzé-Verteuil, le premier, est un ancien moine. Le zèle qu’il apportera dans l’exercice de sa charge le fera nommer accusateur public à Brest. Il se signalera alors par une rigueur qui confinera à la démence : il demandera, en effet, la mise en jugement d’une escadre navale tout entière composée de douze ou treize gros vaisseaux. Le second substitut est Lescot-Fleuriot, sculpteur à ses heures et grand ami de Robespierre dont il partagera le destin le 10 thermidor. Ce triste personnage doit sa réputation et sa place à la violence qu’il met dans ses discussions. Il défend la doctrine montagnarde à coups de poings et il n’en faut pas davantage pour faire de lui un vrai patriote.
Cette organisation exemplaire est complétée par un jury de purs sans-culottes et par un certain nombre de suppléants.
Le 28 mars, à la nuit tombante, le maire de Paris installe le tribunal dans ce qui va être désormais son habitat : l’ancienne Grand’Chambre du Parlement devenue la Salle de l’Egalité. La cérémonie est courte et se déroule à huis-clos. Le président, les trois juges, l’accusateur public et les deux substituts prêtent serment : « Nous jurons et promettons d’être fidèles à la Nation, de maintenir la République une et indivisible, la liberté et l’égalité, d’observer et de faire observer les lois ou de mourir à notre poste en les défendant. »

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