Le 12 août 1792, Louis écrivit à Monsieur cette lettre déchirante :
« Mon frère,
« Je ne suis plus roi : le cri public vous fera connaître la plus cruelle catastrophe… Je suis le plus infortuné des époux et des pères… Je suis victime de ma bonté, de la crainte, de l’espérance : c’est un mystère inconcevable d’iniquité !
On m’a tout ravi, on a massacré mes fidèles sujets ; on m’a entraîné par ruse loin de mon palais ; et l’on m’accuse ! Me voilà captif ; on me traîne en prison ; la reine, mes enfants, Madame Elisabeth partagent mon triste sort. Je n’en puis plus douter ! Je suis un objet odieux aux yeux des Français prévenus…
Voilà le coup le plus cruel à supporter. Mon frère, bientôt je ne serai plus, songez à venger ma mémoire en publiant combien j’aimais ce peuple ingrat. Un jour, rappelez-lui ses torts et dites-lui que je lui ai pardonné.
Adieu, mon frère, pour la dernière fois. » « Louis. »
Cette lettre fut interceptée et livrée à la Commune.
Madame Campan
Première femme de chambre de Marie-Antoinette, elle conserve cette place jusqu’au I0 août 1792. Ayant échappé à l’arrestation, elle se voit refuser le droit d’accompagner la famille royale au Temple. Elle a laissé des Mémoires qui sont une source inestimable sur l’histoire de la famille royale.
Duchesse de Tourzel
Elle assiste auprès de la famille royale aux journées des 5 et 6 octobre 1789, s’occupe activement d’organiser la fuite à Varennes et est présente auprès de la famille royale pendant toute la journée du 10 août. Ayant échappé aux massacres de septembre, arrêtée plusieurs fois, elle est libérée définitivement en 1796.
Les dames de la reine se trouvent toujours dans l’appartement de Marie-Antoinette, tous volets clos, quand un domestique vient dire à la princesse de Tarente qu’on s’embrasse dans les cours et qu’on fait la paix, sans doute après que les suisses aient chassé des émeutiers des cours et du Carrousel.
« Mais dans le même instant, les fusils se mirent à tirer plus fort que jamais. Nous avions avec nous quinze femmes, dont la plupart étaient dans un état horrible. Je priai qu’on fit sortir les hommes qui arrivaient de tous côtés dans notre retraite, et qui n’étaient utiles à rien qu’à nous exposer davantage. Nous nous assîmes toutes contre les murs, et nous attendîmes ce que le ciel voudrait faire de nous. Moi, j’étais toute résignée, et je croyais toucher à mon dernier moment. »
L’obscurité de la pièce donne à Pauline de Tourzel une idée : « Allumons, dis-je, toutes les bougies du lustre, des candélabres, des flambeaux ; si les brigands doivent forcer notre porte, l’étonnement que leur causera tant de lumière pourra nous sauver du premier coup et nous donner le temps de parler. Chacune de nous se mit alors en oeuvre. Et à peine nos arrangements étaient-ils finis que nous entendîmes dans les chambres qui précédaient celle où nous étions des cris affreux et un cliquetis d’armes qui ne nous annonça que trop que le château était forcé et qu’il fallait nous armer de courage. Ce fut l’affaire d’un moment. Les portes furent enfoncées, et des hommes, le sabre à la main, se précipitèrent dans le salon. Ils s’arrêtèrent à l’instant. Une douzaine de femmes dans cette chambre, et ces lumières répétées dans les glaces faisaient avec la clarté du jour qu’ils quittaient un tel contraste que les brigands restèrent stupéfaits. »
Leur stupéfaction ne dure pas longtemps, si l’on en croit Mme de Tarente : — « Des armes et des suisses ! criaient-ils avec fureur. Vive la Nation ! Je m’étais retirée dans le fond de la chambre avec Pauline et Mme Thibault, femme de chambre de la reine ; j’étais associée aux plus braves, et cependant nous tremblions jusqu’à mourir. Un homme d’une figure atroce s’écria : — Point de mal aux femmes ! Des armes et des suisses ! Je ne perds pas un instant, je saisis cet homme par le bras et je lui dis : — Voilà une jeune dame, une vieille et moi, à qui vous allez donner tous vos soins, et vous allez rester avec nous. Il me donna la main, cria : — Vive la Nation !…
« Je pris le garde par un bras, Pauline par l’autre. Arrivés sur le quai — hors du palais — avec Pauline, notre brigand nous quitta. »
L’affaire avait été chaude. Les fédérés marseillais, à eux seuls, avaient perdu 24 tués et 18 blessés, les fédérés de dix-huit autres départements 39 tués ou blessés.
Les pertes des sections parisiennes étaient de 285 tués ou blessés, dont 23 pour la seule section du Finistère (c’est-à-dire le faubourg Saint-Marceau) qui avait soutenu avec les Marseillais l’assaut des Suisses. La section des Quinze-Vingts, la section de Santerre, qui avait joué le rôle dirigeant dans la préparation de l’insurrection, venait aussi au premier rang pour le chiffre de ses pertes : 51 tués ou blessés. Et 42 sections sur 48 figurent sur la funèbre liste.
Le 10 août fut bien l’œuvre de la grande majorité des sections. La plupart des victimes étaient des hommes du peuple, artisans ou ouvriers. Les bourgeois étaient restés chez eux. Si Camille Desmoulins était sorti avec un fusil, ce n’était pas pour s’en servir. Barbaroux a écrit tranquillement dans ses Mémoires : Des motifs de prudence me déterminèrent à ne pas me mettre à la tête des Marseillais. La chair bourgeoise avait encore trop de prix, à cette époque, pour être transformée en chair à canon.
On ignore le chiffre exact des pertes subies par les défenseurs du château, car aucune enquête officielle ne fut prescrite pour l’établir. Mais on est peut-être au-dessous de la vérité en l’évaluant à 500 ou 600 tués et blessés. La proportion des morts fut beaucoup plus considérable chez les assaillants.
Le règlement ne permettait pas que l’Assemblée délibérât en présence du roi. On plaça donc symboliquement la famille royale dans le « logographe », qui était la loge grillagée où se tenait habituellement le secrétaire chargé des procès-verbaux.
Considérant la nécessité urgente de sauver la patrie en danger, l’Assemblée décidait de suspendre, provisoirement, Louis XVI de ses fonctions, et de convoquer une Convention à laquelle il appartiendrait de se prononcer définitivement. Elle prenait la famille royale sous sa garde, jusqu’à ce qu’on la conduisît au palais du Luxembourg, qui serait sa résidence. Ainsi la Législative ménageait la transition : le décret de suspension était une déchéance déguisée ; il apaisait la colère du peuple et ménageait l’avenir. Mais c’était méconnaître les exigences de la Commune insurrectionnelle ! Sur sa lancée, l’Assemblée révoqua les ministres, décida le rappel de Roland, Clavière et Servan, auxquels elle adjoignait Danton, Monge et Lebrun. Elle rendit exécutoires les décrets que le ci-devant roi avait refusé de sanctionner. La séance se prolongea jusqu’à 3 heures du matin. Dans la loge du « logographe », Louis écoutait, impassible ; la reine ne pouvait dissimuler son chagrin et son mépris. On les conduisit aux Feuillants, où, dans de misérables cellules, ils passèrent le reste de la nuit. Le lendemain, la Commune s’opposa au transfert de la famille royale au Luxembourg, en raison des risques d’évasion. Elle ne voulait pas lâcher sa proie. Elle exigea que Louis et les siens lui fussent remis. Pétion et Santerre conduisirent ceux-ci au Temple.