Curés et princes de l'église. Le divorce en 1789

Des petits curés, des moines, des prélats chamarrés se partagent la dignité de former le premier ordre du royaume. En proie à leurs multiples chicanes et querelles, ils ne réalisent pas à temps à quel point ils se sont affaiblis.

Le clergé se divise en haut et bas clergé. Le premier (évêques, abbés des riches monastères, chanoines des chapitres des cathédrales) se recrute surtout parmi les nobles. Si certains, comme Talleyrand, l’évêque d’ Autun, mènent un train de vie de grand seigneur, la majorité s’occupe consciencieusement de ses diocèses. Le bas clergé avec ses 60 000 curés et
vicaires est connu pour son dévouement et sa foi. La plupart de ses membres ne perçoit qu’un revenu modeste appelé portion congrue (environ 750 livres par an, soit 130 fois moins qu’un évêque).
La population rejette cependant les religieuses et les moines qui  » emportent toute la graisse de la terre que de malheureux paysans cultivent « .

Les divisions de l'église en 1789

A la veille de la Révolution, l'église de France est le reflet fidèle de la société. Les mêmes abus, les mêmes injustices

A la veille de la Révolution, l’église de France est le reflet fidèle de la société. Les mêmes abus, les mêmes injustices, les mêmes disproportions s’y retrouvent, amplifiées peut-être par le pouvoir dont elle dispose, et plus encore par l’idéal évangélique qu’elle prétend incarner. Sa puissance temporelle et ses richesses, considérables, sont très inégalement réparties entre ses membres. Tout est concentré entre les mains du haut clergé (évêques, abbés, chanoines), tandis que le clergé du troisième ordre croupit dans l’humiliation et la pauvreté, parfois même dans la misère.
Mais les temps changent. Le prêtre roturier redresse la tête. Il n’est plus disposé à supporter avec la même docilité que la naissance seule décide de la place dans la hiérarchie ecclésiastique. L’orgueil des évêques lui est devenu intolérable : « Aux yeux de plusieurs, s’indigne l’Adresse aux curés, le sacerdoce n’est plus un titre suffisant pour être admis à leur table. A peine un ecclésiastique du Tiers Etat a-t-il la permission de s’asseoir en leur présence… comme si saint Pierre et les apôtres eussent été appelés à l’apostolat à raison de leur noblesse. »
Après le rang social, l’immense disparité des revenus accentue encore cette distance. Que peut-il y avoir de commun entre un prélat comme l’évêque de Strasbourg, riche d’un revenu de 50 000 livres, et le curé d’une paroisse pauvre, réduit à la portion congrue, qui n’a parfois que 300 livres de rente pour subsister ? Mais, en prenant conscience de leur force, les humbles prêtres ont mieux compris l’importance de leur fonction et son utilité : ne sont-ils pas les véritables ouvriers de l’Eglise, tandis que le reste du clergé vit dans le luxe sans lever le petit doigt ? Dans bien des cahiers, on retrouvera la même exaspération devant le parasitisme du haut clergé, et, surtout, de l’évêque du diocèse, véritable « hiérarque postiche, comme le surnomme un curé, ronflant sur la laine du troupeau que le pauvre curé va paissant et dont il ne lui laisse que la crotte et le suint ».
Devant cette révolte qui monte et va secouer les chambres du clergé, maint évêque reculera, effrayé, incapable pourtant d’y répondre, sinon par une surprise douloureuse ou une incompréhension hautaine. Les séances de travail se révéleront houleuses, et les ecclésiastiques de haut rang seront souvent violemment pris à partie par les prêtres roturiers, qui, désormais, ne reculent devant rien. A Digne, un curé ose couper la parole à son évêque et l’appeler simplement « monsieur ». A Evreux, les curés crient comme dans une place publique et, sous prétexte que tout le monde est égal, s’emparent des premières places et renvoient tous les autres derrière eux. Dûment canalisée par les syndicats de curés, cette colère roturière va prendre, dans les cahiers de doléances, la forme de deux revendications privilégiées : d’une part, une mise en question de la hiérarchie ecclésiastique, de ses pouvoirs et de ses privilèges, d’autre part, l’exigence d’une répartition plus équitable des richesses de l’Église et d’une amélioration des conditions de vie du bas clergé.

Curé, un métier de traîne-misère en 1789

les curés, en 1789, protestent contre la vie fastueuse menée par le haut clergé

Face aux prérogatives que le haut clergé s’est adjugées et qu’il entend bien, de son côté, défendre avec âpreté, les curés réclament que le talent, le mérite, l’âge et non plus seulement la naissance permettent l’accès aux grandes dignités ecclésiastiques. Certains même n’hésitent pas à réclamer l’élection des évêques et des vicaires généraux, la réduction de leurs pouvoirs et la suppression, en particulier, de la justice épiscopale, qui, étant juge et partie, ne peut garantir l’impartialité nécessaire. En revanche, ils exigent que l’évêque accomplisse mieux ses devoirs ; qu’il soit tenu de résider dans son diocèse et de convoquer régulièrement des synodes.
Après le partage des pouvoirs, celui des biens est réclamé avec insistance. Presque partout, les curés protestent contre la vie fastueuse menée par le haut clergé et demandent, d’abord, que les bénéfices ne puissent plus être cumulés sur une seule et même tête. Même s’ils ne sont pas tous dans la gêne, ils estiment que leurs sources de revenu sont insuffisantes. Ils considèrent que le prélèvement de la dîme, très impopulaire auprès du public, est contraire à la dignité de leur fonction sacerdotale et les expose à mille contestations auprès de leurs ouailles. Certains curés envisagent sa suppression, ou, tout au moins, son réaménagement tant dans sa quotité que dans la distribution de ses revenus. Enfin, les cahiers demandent souvent l’institution d’une retraite pour les prêtres âgés devenus incapables d’exercer leur ministère et trop souvent menacés de finir leurs jours dans une affreuse misère.
Devant ces exigences, qui apparaissent comme singulièrement organisées, les plaintes du clergé régulier et du haut clergé peuvent sembler moins cohérentes et moins vigoureuses. Les nantis de l’Eglise affirment surtout une volonté nette de ne rien changer à la situation actuelle, voire de regagner, si possible, du terrain perdu. Quand les curés leur ont laissé le droit à la parole (ce qui n’est pas en tout lieu le cas) les évêques commencent par protester avec aigreur contre « l’esprit de rébellion » des « pasteurs du second ordre » et contre la rédaction de certains articles des cahiers qui n’ont pas reçu leur approbation. Ils en profitent pour réclamer le rétablissement de leur autorité pleine et entière sur l’ensemble de leur clergé et demandent, en particulier, que tous les couvents de réguliers de leur diocèse leur soient soumis, même ceux que l’on nomme « exemptés » parce qu’ils ne relèvent que du pape. Ils entendent exercer cette autorité sur les questions temporelles aussi bien que spirituelles et déclarent demeurer les seuls juges « dans toutes les matières qui peuvent avoir trait à la sainteté des dogmes et à la pureté morale », formule d’ailleurs assez vague pour embrasser bien des points litigieux.

Témoignage d'un curé, en Normandie, en 1789

La violence de ce témoignage d’un curé normand montre l’étendue de la haine que porte désormais le bas clergé à ses évêques. La guerre paraît bien ouverte entre les « pauvres curés » et les « hiérarques, postiches ronflant sur la laine du troupeau ».
« Nous, malheureux curés à portion congrue, nous, chargés communément des plus fortes paroisses, nous, dont le sort fait crier jusqu’aux pierres et aux chevrons de nos misérables presbytères, nous subissons des prélats qui feraient encore faire par leurs gardes un procès au pauvre curé qui couperait dans leurs bois un bâton, son seul soutien dans ses longues courses par tous les chemins… A leur passage, il est obligé de se jeter à tâtons le long d’un talus, pour se garantir des pieds et des éclaboussures de leurs chevaux, comme aussi des roues et peut-être du fouet d’un cocher insolent, puis, tout crotté, son chétif bâton d’une main et son chapeau, tel quel, de l’autre, de saluer humblement et rapidement, à travers la portière d’un char clos et doré, le hiérarque postiche ronflant sur la laine du troupeau que le pauvre curé va paissant et dont il ne lui laisse que la crotte et le suint ! »

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Le clergé et la noblesse ne représentaient que 0.42% et 1.25% des Français.

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