Louis XIV à bon appétit !
La princesse Palatine, sa belle sœur, témoigne l’avoir souvent vu manger: » quatre assiettes pleines de potages différents, un faisan entier, une perdrix, une grande assiette de salade, deux grandes tranches de jambon, du mouton au jus et à l’ail, une assiette de pâtisserie et puis encore des fruits et de la confiture. »
Nourrir le monarque n’est pas une mince affaire. Les repas font partie du cérémonial de cour et mobilisent plusieurs centaines de personnes de la Maison-Bouche du souverain.
Quel amoncellement de provisions il fallait réunir chaque jour pour nourrir cet immense caravansérail !
Il est singulier de constater que ces problèmes de l’intendance n’ont guère retenu jusqu’ici l’attention. Et pourtant, quand Narbonne dénombre, au début du règne de Louis XV, les différents groupes qui vivent au palais, il évalue à quinze cents le nombre des officiers qui servent au Grand Commun, alors qu’il n’y a, dans la maison militaire du roi tout entière, pas plus de quatorze cents personnes. Sous Louis XIV, les offices de bouche emploient deux mille serviteurs.
Quand le roi décide, vers 1670, de prolonger les séjours qu’il fait à Versailles, il faut trouver des salles pour loger ces offices, car les cuisines du petit château de Louis XIII n’y suffisent plus. On installe dans une des ailes qui viennent d’être construites par Le Vau, l’aile du Sud, ce que l’on appelle à la cour les sept offices du roi : le gobelet, la cuisine-bouche, la paneterie, l’échansonnerie, la fruiterie, la fourrière et la cuisine-commun dont le rôle était de préparer les repas de ceux qui avaient « bouche à cour ». On y ajoute bientôt la cuisine de la reine et celle du dauphin.
Mais tous ces offices finissent par devenir encombrants. Ils occupent tout le rez-de-chaussée, débordent sur le premier étage. Quand on entre au palais, on est accueilli par cette armée de valets, de marmitons, de cuisiniers, bruyants et mal embouchés, qui s’agitent sous les fenêtres du roi.
C’est alors que Louis XIV donne ordre de faire construire un bâtiment autonome pour recevoir tous ces services : c’est le Grand Commun que Mansart édifie de 1682 à 1685 sur l’emplacement de l’ancienne église du village.
L’architecte du roi savait concilier ce fut là la marque de son génie; la grandeur et l’utilité. Le Grand Commun se compose de quatre bâtiments en quadrilatère entourant une vaste cour. Quatre portails ouvrent sur chacun d’eux. Mazeline, Jouvenet, Lecomte et Mazière sont chargés d’en sculpter les frontons.
Une chapelle, dédiée traditionnellement à saint Roch, qui protège des épidémies et, par voie de conséquence, des aliments avariés ou des plats manqués permet aux maîtres queux et à leurs aides d’accomplir leur devoir dominical sans abandonner leurs fourneaux. Elle est desservie par six chapelains de la maison du roi, et plus souvent fréquentée par des gentilshommes de la cour que par les officiers de bouche. Le roi et la reine s’y rendent quelquefois.
Les sous-sols servent de réserve. Leurs murs massifs sont à l’abri de toute humidité. Un couloir éclairé par de nombreux soupiraux et soutenu par des arcades en fait le tour. Dans une des caves, on a aménagé les fours où les boulangers du roi cuisent le pain de Sa Majesté.
Les cuisines occupent tout le rez-de-chaussée des bâtiments. Le premier étage est réservé aux personnages de qualité qui ont obtenu un office du roi, aux gentilshommes en quartier, aux aumôniers. Les valets, les huissiers, les exempts sont logés au second. Les galetas sont destinés aux valets de cuisine et aux plus modestes serviteurs. Le roi y établit aussi des personnages qu’il a voulu honorer d’un logement en son palais.
Mais le Grand Commun est surtout l’asile de tout un peuple de marmitons, de confiseurs, de pâtissiers qui mènent grand train, se battent souvent entre eux et contraignent les gardes du grand prévôt à intervenir pour ramener la paix.
Les maîtres d’hôtel de quartier conservent plus de dignité. C’est à eux qu’il appartient, après avoir chaque matin reçu les instructions du premier gentilhomme de la Chambre, de veiller à ce que tout soit prêt à l’heure du dîner ou du grand couvert.
Quand les innombrables plats sont à point, on les transporte au château dans un réchauffoir. Le transport s’opère tout bonnement à ciel ouvert.
La procession sort par le grand portail et gravit un escalier de pierre qui aboutit dans une galerie de l’aile du Midi, d’où elle gagne avec le cérémonial fixé la chambre du roi ou l’antichambre de la reine. En dépit des couverts qui protègent les plats, en dépit du réchauffoir qui ne réchauffe guère, les potages sont rarement brûlants à Versailles…
Chacun des officiers du Grand Commun est chargé d’une tâche bien définie : le lieutenant de fruiterie procure du fruit à la table royale, le verdurier veille sur les légumes, les hâteurs sur la cuisson des rôtis, et leur arme est la haste ou broche au travers desquelles la viande est enfilée. Avec les maîtres d’hôtel, ils doivent veiller à la fourniture de toutes les provisions.
Ces provisions étaient acquises par voie d’adjudication. Le bailli de Versailles préparait celle-ci. Des placards étaient apposés aux portes de l’église Notre-Dame et aux principaux carrefours. Chaque candidat, au jour dit, présentait ses offres. La plus avantageuse était retenue. Et les bénéficiaires pouvaient s’intituler fièrement fournisseurs du roi.