Témoignage sur la rafle des Juifs du 16 Juillet 1942

C'était le 16 juillet 1942

Au lycée, des camarades juives m’ont dit que l’on parlait d’une arrestation massive des Juifs pour le lendemain, mais je ne l’ai pas tellement cru. Le soir, à la maison, ma mère, qui a connu les pogroms russes et polonais, est moins optimiste.
Elle prend le peu d’argent que nous possédons et me dit de me tenir prête, si on frappe, à sauter par la fenêtre de la cuisine pour nous enfuir par l’arrière-cour. Je me couche et, comme une enfant que j’étais, je m’endors. Ma mère reste assise toute la nuit, mais vers 5 heures du matin, elle s’assoupit et, à 6 heures, on cogne à la porte. Réveillée en sursaut, elle ne sait plus où elle se trouve et répond. C’est un inspecteur de police. Il ajoute mon nom sur sa liste, car il n’y était pas.
Il nous ordonne de préparer une valise et de le suivre. Ma mère le suppliant de ne pas m’emmener, moi, une enfant, il menace d’appeler police secours. Dans la rue, d’autres policiers entraînent des groupes de Juifs, des familles entières portant des ballots de linge, les adultes silencieux et pâles,
les enfants pleurant, mal réveillés. Les passants nous regardent, étonnés et effrayés. C’est malheureusement la police française qui arrête les Juifs. On nous rassemble dans un garage de la rue des Pyrénées, où on pousse sans cesse de nouveaux venus.

Les Juifs sont regroupés au Vélodrome d'Hiver

Les Juifs sont regroupés au Vélodrome d'Hiver

Au bout de quelques heures, on nous crie de nous grouper, on va nous emmener au Vélodrome d’hiver. Nous essayons de nous cacher derrière les voitures du garage, mais on nous trouve et on nous fait monter dans des autobus. Nous roulons à travers les rues de Belleville, et partout c’est le même spectacle de Juifs emmenés, comme des criminels entre des agents. Nous arrivons rue Nelaton. On nous fait descendre. Dans la confusion des gens cherchant leurs affaires, nous tentons, ma mère et moi, de nous échapper encore. Mais un agent nous interpelle, et on nous pousse à l’intérieur.
Là, c’est un spectacle insolite et navrant. Les gens sont assis sur leurs valises, effrayés, désorientés. Certains courent et appellent dans tous les sens, mais dans l’ensemble, nous sommes silencieux, paralysés par l’angoisse, ne réalisant pas bien ce qui va nous arriver. Des mères serrent leurs enfants dans leurs bras en pleurant doucement. À chaque instant, de nouvelles vagues de Juifs arrivent. Des gens se reconnaissent et hurlent en racontant ce qu’ils ont vu pendant leur arrestation : une femme s’est jetée par la fenêtre, une mère a été arrachée à ses enfants, on a tiré sur des gens qui s’enfuyaient. J’écoute, terrifiée, et je vois amener sur des brancards des paralysés, des amputés. On nous avait pourtant dit qu’on nous envoyait travailler en Allemagne. Comment pensent-ils utiliser ces pauvres êtres? La brutalité des policiers est révoltante. On ne nous a pas habitués à un traitement pareil en France. Notre détresse est très grande, et ma mère décide que nous devons nous évader, coûte que coûte.

L'évasion du Vélodrome d'Hiver

Elle me donne ma carte d’alimentation et 100 francs, et m’embrasse en me disant d’essayer de m’enfuir, de ne pas m’occuper d’elle. J’hésite, puis je me dirige vers la grande porte, mon manteau sur le bras; je ne porte pas l’étoile jaune. Des autobus arrivent sans cesse, et pendant que la police s’occupe des nouveaux venus, j’avance un peu sur le trottoir. Un agent demande ce que je fais là. «Je ne suis pas juive, je suis venue voir quelqu’un.» « Foutez-moi le camp, vous reviendrez demain !»
Je vois ma mère qui sourit, soulagée car elle a entendu. Je traverse la rue, lentement. Je n’ose pas me retourner, tremblant qu’on me rappelle, et le coeur lourd d’avoir abandonné maman. Arrivée sur les quais, je marche longtemps, longtemps, jusqu’à ce que j’ose descendre dans une station de métro et faire de la monnaie pour acheter un billet. Ma mère m’avait dit d’aller chez des amis, près du métro Glacière.
En descendant à la station, je vois ma mère. Elle s’était évadée une demi-heure après moi. Sans un mot, nous courons jusque chez nos amis, qui nous accueillent en pleurant et referment la porte derrière nous.
Après avoir vécu deux ans de liberté relative, nous avons été dénoncées et déportées à Auschwitz. Mais ceci est un autre chapitre, trop long et trop douloureux, et j’en resterai là de mes pauvres souvenirs.

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