Les enfants ne portaient pas l'étoile juive à l'école

Sans l'étoile jaune, ils redevenaient tous des êtres humains

Ma mère s’appelait Jane Bouttier. Elle avait trente ans et occupait son premier poste d’enseignante à Paris, dans l’école du 11 bis, avenue Parmentier alors que la capitale était occupée par les Allemands.
En 1940, elle avait une classe maternelle, avec des enfants de cinq et six ans. De 1941 à 1945, elle avait un cours préparatoire, avec des enfants de six et sept ans. J’avais l’âge de ses élèves, mais pendant toute la guerre, elle ne m’a jamais parlé d’eux. C’est à la fin de la guerre, en 1945, qu’elle m’a longuement parlé, jour après jour, de l’horreur vécue par 24 enfants juifs de ses classes ou d’autres classes de l’école : 24 enfants juifs martyrs, 24 à sa connaissance, arrêtés chez eux avec leurs familles et déportés vers les camps de la mort, en deux ans seulement, de 1942 à 1944, 24 enfants dont une élève, Éliane Staynberg, a été arrêtée dans l’école même.
C’était un massacre, me disait-elle, organisé à un rythme infernal, par des systèmes politiques antisémites. Or, elle ne cessait de me dire qu’elle avait essayé de sauver les enfants à l’intérieur de l’école, avec ses deux collègues Moune Braqui et Hélyett Vallet, et la directrice. Toutes les quatre en effet, avaient décidé de faire enlever tous les tabliers aux enfants,
dès leur entrée en classe, le matin, avant l’appel des présents et des absents. Elles descendaient tous les tabliers à la cave et ne les redonnaient aux enfants que le soir, avant la sortie de l’école. Car ma mère et ses collègues ne pouvaient pas admettre que l’étoile jaune cousue sur les tabliers puisse désigner les Juifs comme des élèves inférieurs aux autres, indignes de vivre et condamnés à mort par des États racistes. Sans tablier avec l’étoile jaune, ils redevenaient tous des êtres humains, à part entière, avec les mêmes droits acquis à vivre et à grandir librement entre Français, quel que soit leur pays d’origine ou celui de leurs parents, quelle que soit leur religion, et même sans religion : c’est le but de l’école laïque républicaine, me disait ma mère.

Les enfants juifs avaient été arrêtés en dehors de l'école

Et, tout en m’expliquant ces effroyables histoires, elle avait les yeux fixés sur l’unique photo de la classe qui lui rappelait tous les élèves de maternelle et de primaire qu’elle avait eus de 1940 à 1945 et les élèves juifs disparus, dans les classes de ses collègues, et qu’elle avait connus. Elle désignait les visages aimés de ceux et celles qu’elle appelait «les enfants», car ils avaient été, pour elle, encore plus que des élèves. Elle me citait Lucie, Jeannette, Anna, Sarah, Colette et son frère Marcel. L’une aimait le calcul, l’autre la rédaction, une autre les leçons d’observation.
Elles avaient toutes appris à lire couramment en février et en étaient fières. Elles jouaient ensemble à la récréation, à la marelle ou à chat perché. Certaines étaient nées en France, d’autres venaient de Pologne, d’Allemagne ou de Grèce, où leurs familles avaient déjà fui l’antisémitisme qui les avait rattrapées en France occupée.
C’est ma mère qui m’a appris que les enfants juifs du 11 bis, avenue Parmentier avaient été arrêtés en dehors de l’école, chez eux, avec leur famille, par la police secrète de l’occupant, la Gestapo nazie, et par la police de l’État français qui avait remplacé la République. Les deux polices obéissaient à la dictature hitlérienne et aux lois de Vichy, qui avaient droit de vie et de mort sur les enfants juifs du 11 bis, avenue Parmentier et leurs familles, et sur des millions d’autres.

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