En août 1942, le raid de Dieppe préfigure le débarquement de juin 1944… L’opération tourne au désastre ; elle fait 1 500 morts, 1500 prisonniers et 1200 blessés. L’équivalent d’Omaha Beach deux ans plue tard… Robert Boulanger est issu d’une famille québécoise de dix enfants. Son père est cheminot. Il est le plus jeune soldat de son bataillon… Il va être tué d’une balle reçue en plein front en débarquant sur la plage de Dieppe
17-18-19 août 1942
Chers papa et maman,
Il y a quelques minutes, nous avons été rassemblés, pour aller nous battre. Même si j’ai crié « Hourra » comme les autres du peloton, je ne me sens pas très brave, mais, soyez assurés que je ne serai jamais une cause de déshonneur pour le nom de la famille.
Dans l’endroit où nous sommes, en ce moment, notre colonel, Dollard Ménard, nous a annoncé l’endroit où nous irons attaquer l’ennemi.
Notre aumônier, Padre Sabourin, rassemble tous ceux qui veulent recevoir l’absolution générale, ainsi que la sainte communion. Presque tous répondent à l’appel. Je veux être en paix avec Dieu, au cas où quelque chose m’arrive. Nous sommes invités à participer à un somptueux repas. Nous sommes servis par les membres féminins auxiliaires de la Marine royale. Les tables sont recouvertes de nappes blanches et chacun a son couvert complet. Il y a bien longtemps que nous avons été traités de la sorte par le Service militaire. Je continue ma lettre à bord de notre péniche d’assaut. Nous sommes chanceux, car la mer est très calme, le temps est au beau. L’engagement avec l’ennemi prendra place vers 5 h 30. Certains racontent des blagues ; on devine la tension qui existe ; je la ressens moi-même.
La lune nous éclaire suffisamment pour que je puisse continuer. Il y a deux heures et demie que nous naviguons, et je dois faire vite avant la nuit noire. J’en profite pour vous demander pardon pour toute la peine que j’ai pu vous causer, surtout lors de mon enrôlement. Si je reviens vivant de cette aventure, et si je retourne à la maison, à la fin de la guerre, je ferai tout ce que je pourrai pour sécher tes larmes, maman, je ferai tout en mon pouvoir afin de vous faire oublier toutes les angoisses dont je suis la cause.
J’espère que vous aurez reçu ma lettre de la semaine passée ; j’ai célébré mon 18e anniversaire de naissance le 13, et je sais que je n’ai pas raison d’aller combattre. Mais lorsque vous apprendrez avec quelle bravoure je me serai battu, vous me pardonnerez toutes les peines que je vous aurai causées.
L’aurore pointe déjà à l’horizon, Mais durant la nuit, j’ai récité toutes les prières que vous m’avez enseignées, et avec plus de ferveur qu’à l’habitude.
Il y a quelques minutes, j’ai cru que nous étions déjà entrés en action avec les Allemands. Là-bas sur notre gauche, le grondement de canons avec le ciel qui était éclairé nous l’a fait croire. Il fait beaucoup plus clair maintenant, et je peux mieux voir ce que j’écris, j’espère que vous pourrez me lire. L’on nous avertit que nous sommes très près de la côte française. Je le crois, car nous entendons la canonnade ainsi que les bruits des explosions, même le sifflement des obus passant au-dessus de nos têtes. Je réalise enfin que nous ne sommes plus à l’exercice. Une péniche d’assaut directement à côté de la nôtre vient d’être atteinte, et elle s’est désintégrée avec tous ceux qui étaient à son bord. Nous n’avons pas eu le temps de voir grand-chose, car en l’espace d’une ou deux minutes, il n’y avait plus rien. Ô mon Dieu, protégez-nous d’un pareil sort !
Tant de camarades et amis qui étaient là voilà deux minutes sont disparus pour toujours. C’est horrible. D’autres embarcations de notre groupe ainsi que d’autres groupes ont été touchés, et ont subi le même sort. Si je devais être parmi les victimes, Jacques vous apprendra ce qui m’est arrivé, car nous avons fait la promesse de le faire, pour l’un ou l’autre, au cas ou l’un de nous ne reviendrait pas. Je vous aime bien, et dites à mes frères et soeurs que je les aime bien aussi du coeur.