Cette légende noire remonte en premier lieu à Grégoire de Tours, le grand chroniqueur du vie siècle, qui se complaît à rapporter les crimes de ces rois francs. Il est vrai que l’évêque de Tours considère les mauvais rois comme autant de châtiments que Dieu déchaîne contre les pécheurs. Aussi insiste-t-il sur les vices des souverains pour mieux appeler leurs sujets à la vertu.
La faute à Grégoire de Tours
Le chroniqueur est à l’origine de l’image négative des Mérovingiens.
Exemple…
Chilpéric [561-584] avait en aversion les intérêts des pauvres. Il blasphémait
continuellement contre les prêtres de Dieu et rien ne l’amusait davantage que de ridiculiser les évêques et de se moquer d’eux… Quant à la débauche et à la luxure, on ne peut pas imaginer un excès qu’il n’ait pas commis. De fait, il cherchait toujours de nouvelles inventions pour nuire au monde. C’est ainsi que, sous son règne, s’il découvrait une personne coupable, il lui faisait crever les yeux. »
Grégoire de Tours, Dix livres d’histoires, VI, 46.
Autre exemple…
La famille des Mérovingiens avait depuis longtemps déjà perdu toute vigueur et ne se distinguait plus que par ce vain titre de roi. La fortune et la puissance publiques étaient aux mains des chefs de sa maison, que l’on appelait les maires du palais et qui détenaient le pouvoir suprême. Le roi n’avait plus, en dehors de son titre, que la satisfaction de siéger sur son trône, avec sa longue chevelure et sa barbe pendante… Quand il avait à se déplacer, il montait dans une voiture attelée de bœufs, qu’un bouvier conduisait à la mode rustique. »
Éginhard, Vie de Charlemagne, I.
Voyant que son frère Sigebert avait pris pour épouse la belle princesse wisigothique Brunehaut, Chilpéric fit demander en mariage la soeur de celle-ci, Galswinthe.
Il promit aux ambassadeurs de renvoyer les épouses, qu’il avait déjà, parmi lesquelles la terrible Frédégonde. Le roi des Wisigoths lui envoya donc sa fille, accompagnée de grandes richesses. Chilpéric l’accueillit avec beaucoup d’honneurs. Mais son amour pour Frédégonde, qu’il avait eue auparavant comme femme, provoqua entre eux un grand différend. Comme elle se plaignait constamment au roi d’avoir à supporter des injures et de ne jouir auprès de lui d’aucune considération, elle demanda la permission de rentrer librement dans sa patrie en laissant les trésors qu’elle avait apportés avec elle. Le roi, feignant de nier la chose, l’apaisa par de douces paroles. Finalement il la fit égorger par un esclave et on la trouva morte dans son lit. Quant au roi, après avoir pleuré la morte, il reprit après quelques jours Frédégonde qu’il épousa… Telle est l’histoire de Galswinthe racontée par Grégoire de Tours.
Les royaumes étant en guerre, la majeure partie du territoire de Chilpéric était tombée aux mains de Sigebert qui, arrivé à la villa de Vitry près d’Arras, se fit proclamer roi à la place de son frère.
C’est alors que deux esclaves, porteurs de couteaux solides, qu’on appelle vulgairement scramasaxes et qui étaient empoisonnés par la reine Frédégonde, le frappent des deux côtés en faisant semblant de vouloir faire autre chose. Mais lui poussant des cris, s’écroula et peu après rendit l’âme.
Ci-contre Frédégonde armant le bras des meurtriers de son beau-frère, Sigebert. Frédégonde serait aussi responsable de l’assassinat de Prétextat, évêque de Rouen, accusé d’avoir accepté de remarier la reine Brunehaut à Mérovée, fils de Chilpéric et d’Audovère. Elle serait également l’instigatrice du meurtre de Clovis, autre fils de Chilpéric et d’Audovère. Mais l’objectivité de notre témoin, Grégoire de Tours, promu à son siège épiscopal par Sigebert, pourrait être contestable. On sait qu’il avait été inquiété, accusé de calomnier la reine Frédégonde, et qu’il avait dû venir se justifier auprès de Chilpéric.
Clovis II étant prétendument parti en Terre Sainte, ses fils auraient profité de son absence pour se révolter contre l’autorité paternelle. Après leur défaite, ils auraient été condamnés par leur mère, sainte Bathilde, à avoir les jarrets brûlés. Puis, abandonnés sur un radeau livré à la Seine, ils auraient été emportés jusqu’à l’abbaye de Jumièges et recueillis là par son fondateur, saint Philibert. Les Mérovingiens ont une sinistre réputation. Mais on peut douter de la véracité de toutes les histoires sanglantes souvent inventions médiévales qui leur sont attribuées.
Ainsi la légende des Enervés de Jumièges est née de l’histoire de deux princes relégués par Charlemagne à Jumièges : le duc de Bavière Tassilon et son fils. Plusieurs causes faussent notre image des Mérovingiens. La dynastie carolingienne, d’abord, fut toujours hostile à leur mémoire. Ensuite, les peintres du XIXe siècle qui les popularisèrent étaient des romantiques, friands d’exotiques Barbares. Enfin les archéologues, retrouvant des armes dans les tombes, pensèrent longtemps que leurs propriétaires étaient des guerriers belliqueux, au lieu d’y déceler les signes d’un statut social.