On peut assurer sans scrupule, que les vies que nous avons de Bertrand du Guesclin tiennent beaucoup plus du roman que de l’Histoire.
Source: Histoire de du Guesclin et de son époque de Siméon Luce
Edouard Perroy ( la guerre de 100 ans, Gallimard, 1977) fut magnifiquement seul à juger froidement ce routier sans scrupule.
On ne sait quel contemporain bien ou mal avisé offrit à Guesclin cette particule qui introduisit un soupçon de noblesse dans un nom somme toute commun.
La rusticité du breton ne pouvait guère effarer son entourage: les moeurs, alors, n’étaient guère policées. Il entra de plein pied à la cour et se sentit immédiatement à l’aise parmi les rudes prud’hommes perturbés par leurs échecs militaires.
On l’accepta tant bien que mal parce qu’on avait besoin de ses services.
Il convient ici de l’affirmer : Guesclin ne fut jamais sensible et généreux, mais terriblement opportuniste, obséquieux devant les représentants de la royauté et rigoureux avec ses victimes. Comme la plupart de ses compagnons, il s’est caractérisé par un mépris absolu, irrémédiable et voluptueux de la vie humaine. En France et en Espagne, le verbe bretonner eut une signification terrible.
La rusticité du Breton ne pouvait guère effarer son entourage : les mœurs, alors, n’étaient guère policées. Il entra de plain-pied à la Cour et s’il dut éprouver un soupçon de gêne devant le roi, il se sentit immédiatement à l’aise parmi les rudes prud’hommes perturbés par leurs échecs militaires. On l’accepta tant bien que mal parce qu’on avait besoin de ses services.
Pour peu qu’on étudie son existence, on constate, ahuri, qu’elle ne correspond en rien à l’espèce de légende que la postérité lui a composée. En effet, tout est flou sinon faux pour ce qui constitue le premier tiers de sa vie, et le poème de 22 790 vers que Cuvelier ( qui ne le connut pas ) lui a consacré après sa mort, et d’où ses admirateurs tirent leurs références, n’est qu’un roman fleuve rimé à la gloire du connétable, parsemé de quelques événements précis et contrôlables, sans aucune datation exacte. Et puisqu’il est ici question de la jeunesse de Guesclin, il faut avec son meilleur et impartial biographe, Siméon Luce, noter que le fameux « tournoi » de Rennes où, dit-on, il fit merveille et s’attira les compliments de son père et les ovations de l’assistance, n’a peut-être jamais existé tel qu’on nous l’a vingt ou trente fois décrit. Etait-ce en 1337 pour les noces de Charles de Blois et de Jeanne de Penthièvre ? Rien n’est moins sûr. Bertrand l’incomparable y brilla-t-il ? Non, puisque à la seizième course un chevalier normand le désheauma, ce qui prouve une adresse et un coup magnifiques. Donc, pour Bertrand, point de prouesse !
A cette époque où la loyauté chevaleresque avait encore un sens, où l’honneur était encore une vertu, où l’on se battait toujours après s’être présenté de front à l’adversaire , Guesclin fut le champion des agressions dans le dos, des embuscades, des combines pernicieuses, tuant même les chevaux pour mieux occire les cavaliers, ce qui pour tout homme d’armes était le comble de l’infamie.
Plus que les truands eux-mêmes, il jouissait de verser le sang. Ce fut un anti-chevalier. Ses singuliers mérites séduisirent les Valois qu’il servit sans jamais émettre une objection sur les besognes qu’ils le chargeaient d’accomplir.
Avec l’aimable autorisation des éditions Aubéron
Donc, tout ce qu’on sait sur la jeunesse du « grand homme » repose sur… du vent. Était-il à Crécy ? Non. Que fit-il pendant l’invasion de la Normandie par Edouard III et ses hommes ? Rien… et pourtant il dut en être informé. Le voit-on dans les rangs des Français à Poitiers ? Non. Participe-t-il au fameux combat des Trente, sur la lande de Ploérmel, dans sa Bretagne ? Non. Jamais là quand il faut faire face à l’ennemi !
On dit, mais on n’en est pas si certain, qu’il servit sous les ordres de Pierre de Villiers, capitaine de Pontorson, au second siège de Rennes, en janvier 1357. Voire… bien qu’on lui attribue des prouesses invérifiables.
Il donna la mesure de ses affreux talents en Espagne, à la tête des Grandes Compagnies. Là, au moins, parmi la sentine des armées, il était à son aise et à son affaire. Soutenant Henri de Trastamare contre Pierre, dit à juste raison le Cruel ( sous le règne duquel, cependant, Espagnols, Juifs et Maures vivaient en symbiose et bonne intelligence ), ses exploits ont des noms de villes martyres : Magalon, Borja et Briviesca où les hommes d’armes de Bertrand crièrent au pied des murailles : « Espagnols forcenés, rendez-nous les Juifs ou vous le paierez ! » et où, la cité conquise, Bertrand lui-même, apprenant que les Juifs s’étaient réfugiés dans une tour, ordonna à ses sergents : « Apportez-moi des graisses et oignez de tous côtés la porte de cette tour. » Il les embrasa lui-même, participa à leur mise à mort avant que de piétiner les cadavres lorsqu’il eut accès au crématoire.
Dans chaque ville où il passa, il eut cet unique souci : qu’on lui livrât la juiverie afin qu’il la fît périr. Trois fois prisonnier, perdant la plupart des grandes batailles ( comme à Najera ), vaniteux à l’excès, d’une férocité à la mesure de sa hideur, traître aux siens, vendu à la Couronne de France, cet homme de son ombre impudente dissimule les vrais patriotes bretons, les Montfort, en particulier, et Jeanne de Clisson qui à la mort de son mari se fit corsaire. Que l’on cherche leurs noms sur les dictionnaires et l’on est bien déçu : ils en ont été exclus !… Le seul Clisson qui y figure est le fils de Jeanne, dévoué, tout comme Guesclin, aux Valois et qui, après Bertrand, devint leur connétable. En revanche, que de fleurs pour Guesclin ! Guesclin qui, vers la fin de sa vie, en 1378, s’en alla rétablir l’ordre en Bretagne — on devine comment — et s’y fit détester.
Avec l’aimable autorisation des éditions Aubéron