Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale allait précipiter le monde non seulement dans le conflit le plus sanglant jamais connu mais encore l’engager violemment dans une série de bouleversements politiques, sociaux, techniques d’une incalculable portée.
3 septembre. Il fait beau sur l’Europe, orageux sur la France, lourd sur le monde. Adolf Hitler se lève à 7 h. D’habitude, le Führer, qui se couche rarement avant 3 ou 4 h du matin, est réveillé à 10 h par Linge, le valet de chambre S.S. Mais ce dimanche n’est pas un jour comme les autres.
Hitler prend son petit déjeuner dominical, toujours aussi frugal : lait chaud et biscuits. II lit la presse étrangère, que les services de Ribbentrop traduisent quotidiennement à son intention, et il étudie les rapports de l’Etat-Major et de la Wilhelmstrasse.
Les nouvelles du front sont excellentes : panzers et stukas règlent le sort de la Pologne, comme prévu. Les informations diplomatiques sont moins bonnes, donc moins prévues. Elles laissent entrevoir le raidissement fatal de Paris et de Londres. Mais Hitler veut encore s’aveugler.
9 h 15. Dans le bureau de Hitler, l’interprète Schmidt traduit à voix haute et lente le texte de l’ultimatum britannique à l’Allemagne : si le gouvernement du Reich ne fait pas parvenir à Londres, au gouvernement de Sa Majesté, aujourd’hui 3 septembre, avant 11 h du matin, des assurances satisfaisantes indiquant qu’il suspend toute action agressive contre la Pologne et qu’il est prêt à retirer promptement ses forces du territoire polonais, l’état de guerre existera à partir de cette heure entre les deux pays…
L’interprète se tait. Le silence tombe, un silence de tombeau. Schmidt, Hitler et Ribbentrop restent un moment immobiles, rigides, pétrifiés, dans ce bureau de marbre. Avec une lenteur menaçante, le visage de Hitler se tourne vers celui de Ribbentrop, qui est gris, gris comme les rideaux des hautes fenêtres.
Ainsi donc, le ministre des Affaires étrangères a été incapable de prévoir la réaction finale des Anglais… En cet instant du 3 septembre, le « deuxième Bismarck » du 24 août n’est plus qu’un diplomate qui a failli. Schmidt se retire en saluant à l’hitlérienne. Il laisse les deux hommes dans leur tête-à-tête tendu.
Un quart d’heure plus tôt, c’est lui qui a reçu Henderson, porteur de l’ultimatum. Ribbentrop, se doutant bien que le message du gouvernement britannique n’est pas agréable, a chargé l’interprète de cette corvée diplomatique. Il n’a pas voulu entendre le « non » de l’Angleterre. Il a fui le diplomate à l’œillet, dont le revers porte le deuil des espoirs et des illusions : Henderson mourra trois années plus tard, en décembre, parmi les chrysanthèmes…
Midi. L’ambassadeur de France, Robert Coulondre, se présente à la Wilhelmstrasse, porteur de l’ultimatum français. Une fois de plus, le ministre est absent. Coulondre devra attendre une demi-heure avant de remettre à Ribbentrop le texte fatidique : « Le gouvernement de la République a l’honneur d’informer le gouvernement du Reich qu’il se trouve dans l’obligation de remplir à partir d’aujourd’hui, 3 septembre, à 17 heures, les engagements contractés par la France, envers la Pologne et qui sont connus du gouvernement allemand. »
Un peu plus tard, à l’ambassade de France, Robert Coulondre prépare son départ. Les archives sont brûlées. Au début de l’après-midi, un cordon de policiers isole le bâtiment. L’ambassade de Grande-Bretagne est également protégée. Mais les Berlinois ne se livrent à aucune manifestation d’hostilité.
Il fait un temps radieux. Les promeneurs du dimanche sont nombreux et nonchalants sur la Wilhelmstrasse et tout au long du Kurfürstendamm. Au début de l’après-midi, la Première rhapsodie hongroise de Liszt est brusquement interrompue à la radio. Le speaker annonce la diffusion d’un communiqué très important. Dans le silence brutal, la voix du speaker : l’Angleterre s’est déclarée en état de guerre avec l’Allemagne. A 18 heures, ce sera le Führer qui parlera à son peuple, terminant sa diatribe contre les ploutocrates anglais par cette conclusion théâtrale : « Je pars ce soir pour le front. » A 21 heures, le paquebot britannique Athenia sera coulé par un sous-marin allemand, sans avertissement…
Dans l’après-midi, les Berlinois qui ne sont pas partis pour le front sont allés aux matches de football ou de hockey ou bien aux courses. Le soir, l’Opéra est comble. Au programme : La Bohème.