Les SS avaient l’ordre d’isoler, de déporter, voire d’exécuter les Juifs et tous autres citoyens polonais jugés intellectuellement dissidents, ou indésirables pour une raison ou une autre.
Avant même l’ouverture des hostilités, Hitler avait averti ses généraux que les scrupules humanitaires ne seraient pas de mise en Pologne. Certains d’entre eux ne comprirent pas tout de suite ce que cela signifiait. Le 19 septembre, deux militaires allemands, un simple soldat S.S. et un gendarme, surveillaient 50 Juifs polonais astreints à une dure corvée. Mécontents de leur travail, ils les rassemblèrent dans une synagogue et les massacrèrent jusqu’au dernier. Horrifiées, les autorités militaires, encore persuadées qu’ils se battaient conformément aux usages de la guerre, firent passer les deux meurtriers en cour martiale. Le commissaire du gouvernement requit la peine capitale. Après en avoir délibéré, la Cour déclara les deux hommes coupables d’homicide et les condamna respectivement à trois et neuf ans de prison. Scandalisé par cette indulgence, le général kuchler, qui commandait les unités auxquelles appartenaient les deux hommes, exigea que l’affaire fût portée devant une instance supérieure, à Berlin. La juridiction d’appel confirma la condamnation du soldat S.S. trois ans de prison, lui accordant les circonstances atténuantes pour le motif qu’il était particulièrement allergique â la vue des Juifs et qu’il avait agi »sans préméditation aucune, et poussé par son enthousiasme juvénile. Pour finir, les deux hommes en question bénéficièrent d’une amnistie et ne passèrent donc pas un seul jour en prison.
Les officiers allemands qui désapprouvaient pareille indulgence ne tardèrent pas â comprendre qu’il était plus sage de fermer les yeux et de faire taire les scrupules. Par la suite, le général kùchler lui-même devait se distinguer par sa soumission totale aux moindres désirs de Hitler.
Le destin de la Pologne fut scellé le 19 septembre au cours d’une réunion regroupant de hauts dignitaires de l’armée et du parti nazi; le général Halder en fit un bref compte rendu dans son journal. La politique allemande en Pologne tenait dans cette expression: Faire le grand nettoyage. Ce n’était là qu’un euphémisme pour liquidation physique. Les Juifs polonais seraient nettoyés, de même que les intellectuels, le clergé, la noblesse; bref toutes les catégories sociales susceptibles de fournir des chefs à une éventuelle résistance. Les généraux firent valoir qu’ils ne tenaient pas à être associés à cette opération. Halder, dans son journal, résume ainsi leur sentiment: Le nettoyage doit être différé jusqu’au moment où l’armée se sera retirée et où le pays sera remis à l’administration civile.
La passation des pouvoirs eut lieu au début de décembre. L’armée put alors se consacrer entièrement à la noble tâche qui était la sienne, c’est-à-dire dresser le plan de nouvelles campagnes militaires, pendant que les S.S. et la Gestapo plongeaient brutalement la Pologne dans un effroyable bain de sang.
Hitler avait donc toutes les raisons de se féliciter de la tournure que prenaient les événements. Il avait anéanti au moindre prix un ennemi qui s’obstinait. Il avait, sur son flanc est, une frontière tranquille, sinon amie. Il pouvait désormais concentrer ses capacités de stratège, son intuition hautement confirmée et toute la puissance de l’arillée allemande contre ses ennemis à l’Ouest.