Dans les deux camps, on avouait être très impressionné par l’étendue des pertes en appareils et en pilotes. Parmi les avions allemands abattus, nombreux étaient ceux dont l’équipage comprenait trois ou quatre hommes; en revanche, la plupart des avions anglais étant des monoplaces.
Dès la troisième semaine d’août, ce fut réellement l’été. . De l’aube au coucher du soleil, ils erraient sur le terrain, dans l’attente du signal d’alerte qui leur indiquerait qu’ils devraient s’apprêter à décoller. Après avoir rapidement satisfait leurs besoins naturels à côté de leurs avions, ils s’envolaient pour une rencontre avec l’ennemi qui durait rarement plus d’un quart d’heure. Mais, au cours de ces quinze minutes, un homme pouvait jouer sa vie, être carbonisé, perdre un bras, finir dans la mer, ou atterrir triomphalement pour annoncer une victoire.
Les pilotes de la R.A.F. estimaient qu’il était inconvenant de pleurer les camarades disparus ou d’avouer leur peur; en apparence, ils avaient tendance à prendre les choses à la légère. La nuit venue et le combat terminé, ils se rendaient à Londres, allaient au spectacle ou dans une boîte de nuit, ou partaient retrouver une jolie W.A.A.F.
Les pilotes de la Luftwaffe basés dans le Nord de la France trouvaient les habitants distants, sinon hostiles. Ils restaient entre eux. Contrairement aux Anglais, ils pleuraient cérémonieusement le camarade disparu. A table sa place restait vide, et ils lui portaient un toast d’adieu. Sinon ils vivaient bien, bénéficiaient de la meilleure cuisine française et disposaient à profusion des excellents vins de France.
Plus la bataille aérienne faisait rage, plus le sang coulait d’un côté comme de l’autre, et plus l’on voyait surgir de héros. Les combats étaient si farouches et si fréquents que de se retrouver en fin de journée indemne avec un avion intact tenait de l’exploit. Mais certains pilotes faisaient encore mieux. D’aucuns révélaient de grandes qualités de meneurs d’hommes, d’autres de techniciens accomplis du combat, d’autres encore réunissaient ces deux qualités.
La R.A.F. et la Luftwaffe possédaient chacune un as des plus farouches et des plus efficaces de la mise à mort qui soient; l’Anglais R.R. Stanford Tuck, était un garçon efflanqué et rougeaud. Il s’était engagé dans la R.A.F. en 1935, après s’être initié, tout jeune, à l’art de la poursuite en chassant le cerf en Écosse et le canard dans les marais du Sussex, son comté natal. Lors de la retraite de Dunkerque, Tuck avait abattu 8 avions allemands en quatre jours. Il accumula les succès en juillet et août; en novembre, 25 victoires figuraient à son tableau de chasse.
Outre le don mystérieux qui lui permettait de devancer l’ennemi, Tuck savait diriger une formation, protéger les pilotes les moins sûrs, guider les novices, ramener ses avions sains et saufs après la bataille.
Du côté allemand, on trouvait le non moins redoutable Werner Môlders, aviateur superbe, aux initiatives inédites. En Espagne, il avait enseigné à ses camarades l’art de voler en formation espacée. Cette tactique causa d’énormes ravages en 1937 dans l’aviation républicaine, et se révéla extrêmement efficace contre les néophytes de la R.A.F., lors des premiers engagements. Môlders était l’adversaire implacable des Anglais et de quiconque se mettait en travers des plans de Hitler. Il ne faisait pas de quartier. En novembre, il avait à son actif 45 avions ennemis, ce qui fit de lui le superchampion de l’Allemagne et le soldat le plus décoré.
Douglas Bader, commandant d’une escadre de Spitfire, était aussi l’un des as qui volaient dans le ciel de la Manche. Bader se montrait sans pitié pour les Allemands. A chaque rencontre, il fonçait sur l’adversaire avec une froide et féroce précision. «Je ne suis pas, disait-il, de ceux qui considèrent la guerre comme une partie de criquet; on ne se tire pas dessus pour se serrer ensuite la main.»
Bader était entré dans la R.A.F. en 1930 comme élève officier; dix-huit mois plus tard, il perdait les deux jambes dans un accident d’avion. Réformé, il avait appris à se servir de jambes artificielles, réussissant même à jouer au golf. En 1939, dès la déclaration de la guerre, il parvint à reprendre du service dans la R.A.F., et cet aîné surprit ses cadets par son agilité. Sa détermination et son habileté comme pilote et comme combattant lui valurent l’estime de ses adversaires à tel point que, lorsqu’il fut abattu au-dessus de la France et fait prisonnier en 1941 (après avoir descendu 23 avions) les Allemands lui firent parachuter par la R.A.F. une jambe artificielle pour remplacer celle qu’il avait perdu en s’écrasant avec son appareil au sol.
Une invraisemblable amitié finit par s’établir entre Bader et le redoutable mais chevaleresque Galland, qui s’était engagé dans la Luftwaffe au début des années trente, alors que l’Allemagne se réarmait encore clandestinement. Galland avait fait son apprentissage sur planeur. Par la suite, il apprit à se battre à bord d’avions à moteur au-dessus de l’Espagne. Bel homme, arborant une moustache à la Groucho Marx, il affectionnait les uniformes voyants, le cigare, le champagne et les jolies femmes. Deuxième as de la Luftwaffe après Mölders, il avait 40 avions à son tableau de chasse en automne 1940. Plus patriote qu’admirateur des nazis, il imputait à l’incapacité de Goering les erreurs que l’Allemagne commettait au moment où la bataille d’Angleterre atteignait son point culminant.
Galland ne cacha pas le fond de sa pensée, lorsque le Maréchal visita le front. Comme Goering lui demandait ce dont ses camarades et lui avaient le plus besoin pour gagner la bataille, Galland lui répondit sans sourciller: «Un groupe de Spitfire.»