La violence des attaques sur les champs d’aviation du sud de l’Angleterre est terrifiante de grandes batailles aériennes se déroulent sans arrêt au-dessus du Kent, du Sussex et du Hampshire.
Victoria Cross
Le 16 août, le lieutenant Eric J. B. Nicolson patrouille avec sa section au-dessus de Southampton, quand trois Ju 88 sont repérés. Mais quand il veut passer à l’attaque, il est devancé par une autre unité de Spitfire et, au moment où il fait faire demi-tour à sa section, il est attaqué par surprise par un Bf 110, dont les obus fracassent sa verrière, des débris le blessant à un oeil, arrachent une jambe de son pantalon, le touchent au pied gauche et enflamment son réservoir d’essence. Emporté par son élan, le BF 110 dépasse le Hurricane. Sans s’occuper des flammes qui commencent à envahir son cockpit, Nicolson le suit en piqué et ouvre le feu. La chaleur est si intense qu’il doit retirer ses pieds du palonnier pour s’asseoir dessus, mais il est déterminé à avoir la peau du 110 :
« Quand j’ai vu le Messerschmitt devant moi, je me souviens avoir crié : « Je vais t’apprendre les bonnes manières, sale Boche ! » Je suis content de l’avoir eu, bien que peut-être des pilotes avec une plus grande expérience du combat aérien auraient fait la seule chose sensée : sauter dès que l’avion a pris feu. Je n’ai pensé à rien d’autre, à ce moment-là, que de le descendre. »
Nicolson finit par sauter et arriver au sol vivant, mais gravement brûlé. Pour cet exploit, il reçoit la Victoria Cross, la plus haute distinction de l’Empire britannique, trop souvent décernée à titre posthume. Il sera le seul pilote du Fighter Command à l’avoir reçue de toute la guerre. Ultérieurement promu Wing Commander, il sera tué dans un accident près de Rangoon (Birmanie), le 2 mai 1945.
Jusque là, les Junkers Ju 87 Stuka ont plutôt bien tiré leur épingle du jeu. Ils ont réussi à couler quelques bâtiments et à causer des dégâts aux ports anglais, tout en limitant leurs pertes. Mais les choses vont vite changer. Le 16 août, les Stukas s’en prennent à l’aérodrome de Tangmere. Bien que tous les chasseurs anglais aient décollé sur alerte, aucun ne peut intercepter les Ju 87 qui exécutent un bombardement comme à l’entraînement, ravageant le terrain et ses installations, tuant une quinzaine de personnes et détruisant une dizaine d’avions (dont le tout premier Beaufighter de chasse de nuit équipé d’un radar). Mais les choses se gâtent peu après, lorsque les hôtes de Tangmere et de Selsey Bill, les N° 43 et 601 Squadrons, coiffent les Ju 87 au moment de leur retour et les poursuivent au-dessus de la mer : neuf sont abattus et au moins dix autres rentrent éclopés, certains avec leur mitrailleur tué à bord.
Le 16 août, la Luftwaffe revendique 60 victoires, la RAF 78. En fait, les pertes s’élèvent à 49 avions allemands et 51 avions britanniques (dont 20 Spitfire(.
Après une calme journée du 17 août, marquée par un discours quelque peu optimiste de ce bon Dr. Goebbels annonçant au peuple allemand que la RAF a été vaincue, les affaires reprennent le lendemain 18 août. Cependant, la Luftwaffe, visiblement éprouvée, ne réalise que la moitié de sorties par rapport aux journées précédentes.
Le 18 août marque, d’ailleurs, la fin de la deuxième phase de la Bataille d’Angleterre, tout au moins du point de vue des Britanniques. Il marque aussi la fin du Stuka.
Les Allemands s’étaient donné un délai de quatre jours pour « nettoyer », par des attaques intensives, le ciel anglais. Ces quatre jours étant maintenant passés, ils firent leur bilan. Leurs services de renseignements estimaient que même si la chasse britannique n’était pas à bout de souffle, il lui restait à peine 300 avions. Ils étaient loin de compte : car Dowding avait encore près de 600 « Spitfire » et « Hurricane ». Sur la foi de leurs informateurs, les Allemands crurent qu’ils pourraient éliminer toute résistance anglaise en poursuivant leur effort intense pendant encore un jour ou deux. La Luftwaffe lança donc une nouvelle attaque générale le 18 août, principalement contre les aérodromes du Kent, du Surrey et du Sussex. Elle y perdit 71 avions et les Anglais 27. Incontestablement, la chasse anglaise n’était pas anéantie
Entre le 13 et le 18 août, les bombardiers ont enregistré la perte de 146 des leurs (parmi lesquels 48 Ju 87, dont 16 rien que le 18 août), pertes auxquelles il faut ajouter 131 chasseurs. Les bombardiers se plaignent d’être livrés à eux-mêmes par des chasseurs d’escorte qui ne font pas leur boulot.
Goering s’impatiente et tempête. Galland s’explique :
« À partir de cette période, j’ai conduit personnellement toutes les missions impliquant la participation de la totalité de l’escadre. Je savais très précisément ce qu’il fallait faire et ce qui était possible lors de grands combats aériens. J’ai établi des règles pour faire escorter les bombardiers par une escadre au complet, règles qui furent bien acceptées et admises comme étant les meilleures. La JG 26 s’était taillé la réputation d’être l’escorte la plus fiable, alors que cette mission était l’une des plus difficiles à mener à bien. Elle nécessitait une discipline de fer et je sais que toutes les escadres de bombardement demandaient à être escortées par la JG 26. Alors, je pense que l’on peut dire qu’en 1940, la JG 26 était la meilleure escadre d’escorte. Il a fallu que j’organise tout moi-même, Pace que nous n’avions ni expérience en la matière ni règles préétablies. J’ai divisé l’escadre en trois formations. La première était chargée de la protection rapprochée, volant au contact direct des bombardiers, à la même vitesse, évidemment trop faible pour les chasseurs. Elle représentait à peu près le tiers de l’effectif. Elle devait rester au contact des bombardiers pour les protéger — ce n’était certainement pas la meilleure manière de le faire, mais les bombardiers l’exigeaient.
Bien supérieure était la protection à distance, toujours au contact visuel des bombardiers, mais la formation pouvait aller d’un côté ou de l’autre et attaquer l’ennemi quand il se présentait. Après le combat, la formation devait rétablir le contact avec les bombardiers. Enfin, il y avait la chasse libre où la formation volait bien en avant des bombardiers pour leur frayer le chemin.
Cette tactique se révéla à de nombreuses reprises bien plus efficace que n’importe quelle autre. Bien évidemment, comme les bombardiers ne voyaient pas les chasseurs, ils ne faisaient pas confiance à cette méthode. J’ai tenté de convaincre les bombardiers à de nombreuses reprises sans succès. Ils ne cessaient de se plaindre auprès de Goering qui leur accordait une oreille complaisante. »
Goering, qui tempête après ses pilotes de chasse, décide de rajeunir les cadres. Déjà, le 23 juillet, le « vieux » Theo Osterkamp (48 ans) a laissé son poste de Kommodore de la JG 51 à l’étoile montante de la Luftwaffe, Werner Mülders. Entre le 18 et le 25 août, Goering remplace les commandants des JG 3, JG 26, JG 52 et JG 54. Les places sont prises respectivement par Günther Lützow, Adolf Galland, Hans Trübenbach et Hannes Trautloft.
Si l’on en juge par les seuls résultats, la deuxième phase ne s’achève pas sur une victoire de la Luftwaffe. La chasse britannique, malgré des pertes élevées, tient toujours bon. Les pertes allemandes ont été lourdes et n’ont pas été compensées par des destructions significatives. Les Allemands ont dispersé leurs efforts à attaquer de nombreux terrains ne relevant pas directement du Fighter Command. Erreur stratégique ou préméditation ? La destruction des aérodromes du Coastal Command ou de la Fleet Air Arm n’a évidemment pas gêné le Fighter Command dans son action défensive. On peut, toutefois, se demander si l’OKL n’a pas voulu empêcher la chasse anglaise d’utiliser ces bases situées pour la plupart en bordure de la côte ou s’il a cherché à les faire évacuer en prévision du débarquement et de la nécessité pour la Luftwaffe de disposer de terrains avancés.
Cependant, la Luftwaffe n’a guère utilisé plus d’un tiers de ses effectifs à l’Ouest et le Fighter Command a perdu des pilotes qu’il ne peut remplacer. Si la guerre d’usure, qui n’a pourtant commencé qu’une semaine plus tôt, se poursuit à cette cadence, il n’est que trop évident que la RAF sera la première à atteindre le point de rupture.
Le 19 août, Goering convoque ses généraux à Karinhall. Dans leur for intérieur, en évitant de l’avouer publiquement, tous ont compris que l’affaire sera beaucoup plus difficile que prévu. Le problème ne tient pas à la stratégie mais aux moyens de la mettre en oeuvre. Tout le monde sait quoi faire, mais personne ne sait comment. La question est double : comment obtenir la supériorité aérienne et comment employer les bombardiers qui ne pourront être escortés ?
Goering commente sa nouvelle directive. Celle-ci ne comporte guère de nouveautés par rapport aux précédentes (la chasse anglaise constituant toujours la cible prioritaire), à une exception près : la zone des raids est étendue aux abords de Londres. Pour faciliter la tâche des Bf 109E, dont l’autonomie n’est pas la qualité première, Goering décide de concentrer toute la chasse dans le Pas-de-Calais, déshabillant ainsi la Luftflotte 3 au profit de Kesselring.