Il faut 18 jours d’entraînement intensif pour former correctement un équipage de corvette. À partir de la fin 1942, les bâtiments suivent aussi une formation technique leur permettant d’intégrer ensuite un Escort Group. Entre 2 missions, les groupes d’escorte sont envoyés en Irlande du Nord pour effectuer des exercices et manoeuvres tactiques.
Des changements, encore pratiquement imperceptibles pour les combattants de l’un et l’autre bord, avaient déjà commencé à prendre forme à l’époque où les Allemands adoptèrent la tactique des meutes. En juillet 1940, une nouvelle base d’entraînement de la Royal Navy, connue sous le nom de H.M.S. Western Isles, fut créée à Tobermory, port de l’île de Mull dans les Hébrides. Les officiers et les hommes de tous les nouveaux navires affectés à la protection des convois y passaient un long mois à se préparer intensivement à la lutte anti-sous-marine, à bord de leurs propres bâtiments, sous la surveillance impitoyable du commodore Gilbert O. Stephenson, vice-amiral en retraite affublé de divers sobriquets, tels que «le singe», «la terreur de Tobermory» ou «le seigneur des Western Isles.»
Selon la petite histoire, des parents et des familiers du commodore se seraient sentis obligés de préciser que, derrière les impressionnantes brochettes de décoration qu’il arborait fièrement sur sa poitrine, le vice-amiral avait un coeur. Mais cela ne parut jamais évident à ceux qui s’astreignirent pendant un temps à suivre le dur programme d’entraînement qu’il avait mis au point.
Le lieutenant de vaisseau D.A. Rayner, de la Réserve Volontaire de la Royal Navy qui se rendit à Tobermory après avoir pris le commandement du Verbena, l’une des premières corvettes conçues pour les convois de l’Atlantique, a laissé ses impressions sur le fameux programme: « Nous étions contraints et forcés à l’efficacité. A toute heure du jour et de la nuit, le fouet s’abattait: » Envoyez un canot! Jetez une seconde ancre! Préparez-vous à touer à l’avant! Préparez-vous à prendre un cargo en remorque! Envoyez un équipage de prise sur le Western Isles! Vous avez une ancre qui traîne, levez-la et avancez! » Au début, nous poussions des hauts cris en sautant sur nos pieds à chaque ordre. Par la suite, nous apprîmes à bondir sans émettre le moindre son. »
Stephenson envoyait les navires s’entraîner en mer tantôt isolément, tantôt en groupe, tantôt encore avec le sous-marin dont disposait la base pour aguerrir les opérateurs de l’asdic. Que l’exercice eût lieu de jour ou de nuit, qu’il fît beau ou mauvais, les équipages pouvaient compter sur l’imagination fertile du commodore pour ajouter quelque complication imprévue à un programme déjà exténuant. Au moment d’un contact prometteur à l’asdic, il faudrait maîtriser un simulacre d’incendie; au milieu d’un exercice de ravitaillement en mer apparaîtrait un imaginaire navire corsaire ennemi; ou encore, lorsque la moitié de l’équipage serait à terre pour assister à un cours, l’ordre viendrait soudain d’aller déposer une équipe de débarquement sur une plage éloignée. Là, les hommes découvriraient inévitablement le commodore en personne, qui les regarderait s’épuiser en efforts vains et maladroits d’un oeil absolument froid et critique.
Dans ce contexte d’entraînement forcené, il y eut cependant quelques rares moments de détente et même des rires aux dépens du commodore. Le contre-amiral W.S. Chalmers a ainsi raconté comment Stephenson, qui croyait aux vertus des inspections inopinées pour maintenir les équipages en état d’alerte, escalada un jour en tapinois la muraille d’une frégate pour être attaqué dès son arrivée sur le pont par un féroce berger allemand. Cette démonstration évidente de la vigilance maintenue à bord impressionna à tel point le commodore qu’il se hâta de regagner son canot, conservant toute sa dignité, à défaut de son fond de pantalon qu’il avait dû abandonner à l’animal.
« Une autre fois, relate encore Chalmers, l’amiral, lors de l’inspection d’une corvette, jeta sa casquette sur le pont et déclara tout de go: « Ceci est une bombe non explosée. Agissez sur-le-champ! » Un jeune marin bondit des rangs de l’équipage l’air complètement ahuri et donna un grand coup de pied dans la casquette qui passa par-dessus bord. Sans manifester la moindre surprise, l’amiral félicita vivement le jeune marin pour sa présence d’esprit; puis, désignant du doigt la casquette qui continuait à flotter, il lui dit: « Ceci est un naufragé. Sautez pour le sauver! » Et le jeune marin de s’exécuter derechef. »