Pour les Alliés, la bataille de l’Atlantique ne consista pas seulement à disputer avec l’ennemi une course aux équipements perfectionnés ; elle fut aussi une lutte incessante pour réunir le minimum d’avions et de navires nécessaire à une protection efficace des convois.
Les avisos britanniques pouvaient, eux aussi, être extrêmement inconfortables. Certains dataient d’avant la guerre; d’autres, appartenant à la série Black Swan (cygne noir), avaient été lancés en petit nombre juste après le début des hostilités. Les premiers atteignaient une vitesse maximale de 16 noeuds, insuffisante pour gagner de vitesse un sous-marin en surface. Ils avaient, certes, été conçus pour effectuer de longues traversées et ils ne risquaient pas de manquer de carburant si le mauvais temps ou un changement de route allongeait la durée d’escorte. Toutefois, comme ils avaient été équipés à l’origine pour servir de canonnières sous les tropiques ou de dragueurs de mines dans le cadre des escales de la Méditerranée et de l’Extrême-Orient, ils se révélaient totalement incapables de préserver des intempéries leurs équipages au large des côtes de l’Islande ou de Terre-Neuve.
Bien que plus récents, les avisos de la série Black Swan n’offraient guère plus de protection contre le froid et le vent. Mais, par ailleurs, ils convenaient parfaitement à l’escorte des convois. Capables de filer 19 noeuds et équipés de six canons antiaériens de 102, ils furent très demandés pour la défense des convois à destination de Gibraltar quand la Luftwaffe, opérant à partir de bases situées dans l’Ouest et le Sud-Ouest de la France, commença à participer activement à la bataille dans le golfe de Gascogne.
Les corvettes eurent finalement à supporter la plus grande partie du fardeau des convois et, plus particulièrement, les corvettes de la série «Flower». Ces bâtiments avaient été baptisés de façon incongrue; ils portaient, en effet, les noms des fleurs délicates que l’on trouve dans les jardins anglais.
Ainsi vit-t’on opérer sur le théâtre des opérations le plus meurtrier de la guerre navale le Hyacinth (jacinthe) et le Campanula (campanule), aux côtés du Daffodil (jonquille), du Periwinkle (pervenche) et du Meadowsweet (reine-des-prés), sans parler du Coreopsis.
Trapues et solides, les corvettes résistaient beaucoup mieux que les destroyers au martèlement des vagues de l’océan Atlantique, même si leurs machines alternatives ne leur permettaient pas de dépasser 15 noeuds ce qui constituait un grave handicap lorsqu’elles tentaient de poursuivre un sous-marin en surface capable d’atteindre 17 ou 18 nœuds. Mais leur maniabilité faisait absolument merveille, lorsqu’il s’agissait de maintenir un contact asdic avec un sous-marin en plongée. Plus important encore, les corvettes étaient faciles à construire, et pouvaient donc être fabriquées très rapidement.
Mais entre corvettes, avisos et destroyers américains, la palme de l’inconfort revenait aux corvettes. Comme devait le dire Nicholas Monsarrat, «une corvette aurait le roulis sur une pelouse mouillée.» Ceux qui étaient plus ou moins sujets au mal de mer, comme les jeunes officiers du commandant Sherwood à bord du Bluebell, tombaient malades dès les premiers jours du voyage, rendant encore plus difficile la vie du reste de l’équipage. Même par temps relativement calme, il n’y avait aucune possibilité de se détendre. Cette tension physique abrégea certainement la longévité de ceux qui eurent à servir sur une corvette.
Que l’on fût assis, debout, allongé, au travail, en mouvement, il fallait toujours se tenir à quelque chose ou s’agripper à quelqu’un. Même lorsqu’on se croyait solidement amarré, on risquait toujours de voir quelque pièce d’équipement descellée vous tomber sur le crâne, vous fracturer une côte, vous blesser le tibia ou vous écraser les doigts.
Par gros temps et au cours d’une offensive de sous-marins (les tempêtes et les attaques furent extrêmement fréquentes au cours du premier trimestre de 1941), il n’était pas question pour les hommes des corvettes de prendre le moindre repos. Quand ils parvenaient à consacrer trois ou quatre heures au sommeil, ils les passaient invariablement à s’accrocher aux cadres des couchettes, coincés dans des couvertures trempées. «Quand nous revenions à terre, se rappelle Sherwood, nous ne désirions ardemment qu’une chose: nous coucher et dormir.»