Tout un appareil répressif, police secrète, tortures, camps de concentration, fut rapidement mis en place par Hermann Goering, alors ministre de l’Intérieur. Quand le Reichstag flamba, le 27 février 1933, dans un incendie prétendument allumé par les communistes, mais vraisemblablement avec la complicité des nazis, la terreur redoubla.
Quatre des hommes les plus puissants d’Allemagne dînaient séparément, deux par deux, à Berlin. Dans le très select Herrenklub de la Vosstrasse, le Vice-Chancelier von Papen traitait le président von Hindenburg. Au domicile de Goebbels, le chancelier Hitler était arrivé pour dîner en famille. Selon Goebbels, ils étaient très détendus, écoutaient des disques et racontaient des histoires. « Soudain, raconta-t-il plus tard dans son journal, coup de téléphone du docteur Hanfstaengl : « Le Reichstag brûle! » Je suis sûr que c’est une blague et je n’en parle même pas au Führer’. »
Mais les convives du Herrenklub étaient juste en face du Reichstag.
Soudain (écrivit plus tard Papen), nous remarquâmes derrière les vitres une lueur rouge, et nous entendîmes des cris dans la rue. Un des serveurs se précipita vers moi et me chuchota : « Le Reichstag est en feu! » ce que je répétai au président. Il se leva, et de la fenêtre nous pûmes voir la coupole du Reichstag qui semblait illuminée par des projecteurs. De temps en temps, des flammes jaillissaient et un tourbillon de fumée dissimulait les contours du bâtiments.
Le Vice-Chancelier ramena le vieux président chez lui dans sa propre voiture et se précipita sur les lieux de l’incendie. Cependant Goebbels, d’après son récit, s’était dit, à la réflexion, que Putzi Hanfstaengl ne lui avait peut-être pas fait de « blague »; il avait donné quelques coups de téléphone et appris que le Reichstag était en flammes. Quelques secondes plus tard, le Führer et lui fonçaient « à cent à l’heure par la Charlottenburger Chaussée vers le lieu du crime ».
Car c’était un crime, un crime communiste, proclamèrent-ils dès leur arrivée sur les lieux du sinistre. Goering, en nage, hors d’haleine et au comble de l’excitation, était déjà arrivé et clamait au ciel, comme le raconta par la suite Papen, que « c’est un crime communiste contre le nouveau gouvernement ». S’adressant au nouveau chef de la Gestapo, Rudolf Diels, Goering cria : « C’est le commencement de la révolution communiste! Il ne faut pas perdre une minute. Il faut être impitoyable. Tous les chefs communistes doivent être abattus, là où on les trouvera. Il faut cette nuit même pendre haut et court tous les députés communistes. »
Dès le lendemain, prétextant la menace d’un complot communiste, Hitler imposait au président Hindenburg, un « décret d’urgence » qui abolissait toutes les libertés fondamentales dans la République de Weimar. Dans les jours qui suivirent, des milliers d’adversaires des nazis étaient arrêtés. La presse socialiste et communiste était interdite. Gestapo et SS avaient tout pouvoir. On sait ce qu’ils en firent.
L’incendie du Reichstag devint, en quelque sorte, l’acte fondateur du Ille Reich, ouvrant toutes grandes les portes du pouvoir à Hitler. Et de fait, le 5 mars, les nationaux-socialistes et leurs alliés du Deutschnational recueillaient 51,8% des suffrages.
Le procès de van der Lubbe se tint, de septembre à décembre 1933, devant la Haute Cour de Leipzig. À ses côtés dans le box des accusés se trouvaient le leader du groupe communiste du Reichstag, Ernst Torgler, ainsi que trois communistes bulgares, dont un responsable du Komintern, Georgi Dimitroff. Pourtant nombreux étaient ceux qui doutaient de la culpabilité de van der Lubbe. Et il n’y avait pas que les socialistes et les communistes. Dans les partis bourgeois et chez les nazis eux-mêmes quelques-uns pensaient que le parti nazi, le NSDAP, n’était pas étranger à l’affaire.
Signé par van der Lubbe, le procès-verbal des interrogatoires, menés sans interprète (van der Lubbe parlait fort mal l’allemand) par le commissaire Walter Zirpins, servit de document à charge. Le suspect y reconnaissait avoir mis le feu au Reichstag. Le document émettait aussi l’hypothèse que van der Lubbe avait agi à l’instigation de communistes (ce qu’il ne reconnaissait pas dans le procès-verbal).
En moins de trois mois, le cas de Marinus van der Lubbe fut réglé. Il faut dire qu’il n’avait pas fait grand-chose pour se défendre. Et pour cause. La photo prise quatre jours après son arrestation montrait un jeune homme solide et en bonne santé. En revanche, durant tout le procès, il se comporta en automate, effondré, apathique, la tête penchée, incapable d’énoncer une phrase, si e n’est pour se dire coupable. Des observateurs étrangers affirmèrent alors qu’il était drogué. Déjà, lors de son arrestation dans le Reichstag, la nuit de l’incendie, il avait paru être dans un état second. Condamné à mort le 23 décembre, van der Lubbe fut décapité le 10 janvier 1934. Faute de preuves, Dimitroff et ses camarades bulgares furent relaxés.
Du palais du président du Reichstag, demeure de Goering, un passage souterrain, construit pour faire passer les canalisations de chauffage central, conduisait au bâtiment du Reichstag. Dans la nuit du 27 février, Carl Ernst, ancien chasseur d’hôtel devenu chef des S.A. de Berlin, conduisit par ce souterrain un petit détachement de troupes d’assaut vers les sous-sols du Reichstag, où ils répandirent de l’essence et des produits chimiques s’allumant tout seuls, après quoi ils s’empressèrent de regagner le palais en empruntant le même chemin par lequel ils étaient venus.
Au même moment, un communiste hollandais à demi idiot, un maniaque incendiaire, Marinus van der Lubbe, s’était rendu dans le grand bâtiment plongé dans l’ombre et qu’il ne connaissait pas pour y allumer de son côté de petits incendies. Ce pyromane fut une bénédiction pour les nazis. Il avait été arrêté par les S.A quelques jours plus tôt, après qu’on l’eut entendu se vanter dans un bar d’avoir tenté de mettre le feu à divers bâtiments publics et annoncé qu’il allait s’attaquer ensuite au Reichstag.
La coïncidence qui veut que les nazis aient trouvé un communiste pyromane prêt à faire exactement ce qu’eux-mêmes avaient décidé d’entreprendre peut paraître incroyable, mais les preuves ne manquent pourtant pas à l’appui de cette thèse.
Ce sont presque certainement Goebbels et Goering qui avaient eu les premiers l’idée de l’incendie. Hans Gisevius, un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur de Prusse à l’époque, déclara à Nuremberg que « c’était Goebbels qui, le premier, avait pensé à mettre le feu au Reichstag », et Rudolf Diels, le chef de la Gestapo, ajouta dans une déposition que « Goering savait exactement comment le feu devait prendre » et qu’il lui avait ordonné « de préparer, avant l’incendie, une liste des gens qui devaient être arrêtés aussitôt après.
Le général Franz Halder, chef de l’État-Major général allemand au début de la seconde guerre mondiale, rappela à Nuremberg comment un jour Goering s’était vanté de son exploit. J’entendis de mes propres oreilles Goering interrompre une conversation en criant : « Le seul qui connaisse vraiment le Reichstag, c’est moi, parce que j’y ai mis le feu! » Sur quoi, il se tapa violemment sur les cuisses.
Van der Lubbe, la chose semble claire, était une dupe des nazis. On l’encouragea à essayer de mettre le feu au Reichstag. Mais c’étaient des troupes d’assaut qui (à son insu, naturellement) devaient faire le plus gros du travail. Il fut même établi au procès qui eut lieu par la suite à Leipzig que le débile mental hollandais ne possédait pas les moyens de mettre si rapidement le feu à un bâtiment aussi vaste. Deux minutes et demie après qu’il y eut pénétré, le feu faisait rage dans le grand hall central. Or, le Hollandais n’avait pour toute mèche que sa chemise. Les principaux foyers d’incendie, d’après le témoignage des experts au procès, avaient été allumés avec de considérables quantités de produits chimiques et d’essence. Il était évident qu’un seul homme n’avait pas pu les apporter dans le bâtiment, pas plus qu’il n’aurait eu la possibilité d’allumer autant de foyers dans autant d’endroits à la fois en si peu de temps.