La journée du 20 juin a, dit-on, été fomentée dans les salons de Mme Roland, la femme de l’ex-ministre de l’Intérieur.
La véritable cause a été le renvoi, par le roi, des ministres girondins ainsi que son refus de sanctionner les décrets concernant les prêtres réfractaires et l’établissement d’un camp de fédérés près de Paris.
Le peuple des faubourgs, mené par Santerre avec la complicité de Pétion, maire de Paris, s’en va menacer le roi dans son château des Tuileries. C’est l’émeute !
Santerre
Avec le boucher Legendre et l’imprimeur Momoro. ce riche brasseur qui abusait volontiers de sa propre production était l’un des hommes forts du faubourg Saint-Antoine, un de ces exécutants auxquels les meneurs politiques désireux de garder les mains propres confiaient les basses besognes, et qui savaient mobiliser la foule parisienne des quartiers populaires. Jusqu’en 1794, Santerre jouera un rôle décisif dans toutes les grandes « journées ». Au 20 juin 1792, il n’était encore que chef de bataillon de la garde nationale. Le 10 août le fera commandant en chef
Le 20 juin 1972, vers midi, un torrent où se mêlent des ouvriers, des femmes, des invalides, des enfants, des gardes nationaux, des charbonniers, des mendiants, tous portant des piques, des bâtons ferrés, des marteaux, des haches, des écriteaux, des bannières et aussi des branches d’arbres, des épis de blé, des fleurs, roule vers l’Assemblée, venant des quartiers Saint-Antoine et Saint-Marceau.
Santerre dirige l’avant-garde. Arrivé au Manège, il demande l’admission des pétitionnaires par la Législative.
Le procureur syndic Roederer réclame en vain le maintien de l’ordre et l’exécution de la loi. Vergniaud soutient qu’on doit permettre à la foule de défiler devant les représentants. A droite, les feuillants protestent. Déjà la multitude a forcé les portes. Il faut bien voter son admission.
Huguenin s’avance à la barre, suivi de son guenilleux cortège. Il lit sa pétition :
— Le peuple est debout… Le sang coulera ou l’arbre de la Liberté que nous venons de planter fleurira en haie (?)… Les hommes du 14 juillet ne sont pas endormis… Si l’inaction de nos armées dérive du pouvoir exécutif, qu’il soit anéanti !
Le président, François de Nantes, articule quelques phrases sans portée, tandis que l’émeute défile en criant « A bas le veto ! » et en chantant le Ça ira. Des femmes dansent en brandissant des épées. Les piques dressées haut portent des culottes déchirées, l’une même un coeur de veau avec cette mention : Coeur d’aristocrate.
Les tribunes vocifèrent. Les députés gardent un silence consterné. Cette scène dégoûtante se prolonge près de trois heures. Enfin Santerre offre un drapeau à l’Assemblée au nom des citoyens du faubourg Saint-Antoine et la séance est levée.
Ayant planté un arbre de la Liberté dans le potager des Capucins, le peuple force la grille, se répand dans le jardin des Tuileries et, de là, cherche à gagner les quais pour se disperser.
Ce n’est pas l’affaire des agents de la Gironde qui parcourent les groupes et veulent les entraîner vers le château. Clavières, ministre d’hier, tout au regret de la place perdue, est des plus véhéments.
La foule inonde alors la cour du Carrousel. L’officier municipal Mouchet, nabot ambitieux, fait céder devant elle la résistance des gardes nationaux. A ce moment, Santerre, principal entraîneur de la journée, reparaît, accompagné de Legendre et de Saint-Huruge :
— Pourquoi n’entrez-vous pas ? crie-t-il au peuple et aux gardes nationaux. Vous n’êtes pas descendus pour autre chose. Si l’on refuse d’ouvrir la porte, qu’on la brise à coups de canon !
Au commandement d’un lieutenant, les canonniers du Val-de-Grâce braquent leurs pièces. La porte s’ouvre sur l’intervention de Mouchet et de deux de ses collègues. La foule emplit la cour Royale, envahit le vestibule et les escaliers du château.
Aucune résistance. Les Suisses sont à leur caserne. Les gardes nationaux, seule défense, pactisent plus ou moins avec l’émeute. Au reste, le roi n’a pas donné d’ordres. Il s’est borné à renvoyer les quelques gentilshommes accourus pour le défendre.
Quittant la reine et ses enfants réfugiés dans la salle du Conseil, il a passé dans le grand salon de l’OEil-de-Boeuf où il se tient avec trois de ses ministres, le vieux maréchal de Mouchy, Madame Élisabeth qui n’a pas voulu le quitter, les chefs de légion Acloque et La Chesnaye et quelques grenadiers loyalistes.
L’un de ceux-ci lui dit :
— Sire, n’ayez pas peur.
Parfaitement calme, le roi lui prend la main et l’appuie sur sa poitrine :
— Je n’ai pas peur, mon cœur est pur et tranquille. Sur l’ordre d’Acloque, les grenadiers posent leurs fusils ou remettent leurs sabres au fourreau.
La porte du salon est ébranlée par des coups de massue et de hache. Déjà les panneaux du bas sont fracassés. Le roi ordonne d’ouvrir. La foule se précipite. Acloque se jette au-devant d’elle :
— Citoyens, reconnaissez votre roi, respectez-le! Nous périrons tous plutôt que de souffrir la moindre atteinte !
Le peuple ne semble pas d’abord malveillant. Il regarde le roi avec plus de curiosité que de colère. Mais de sinistres figures bientôt interviennent. Le tumulte est percé de cris, de sommations : Point de veto, point de prêtres! Rappelez les ministres patriotes !
Louis, monté sur une banquette, dans l’embrasure d’une croisée, regarde placidement la foule. Le boucher Legendre se fraie un chemin jusqu’à lui et lui jette au visage :
— Monsieur…
Le roi ne peut se défendre d’un mouvement. Court et trapu, fort en gueule, prêt aux coups de poing, le boucher semble une brute redoutable.
— Monsieur, reprend-il très haut, écoutez-nous, vous êtes fait pour nous écouter.
Vous êtes un perfide, vous nous avez toujours trompés, vous nous trompez encore. Mais prenez garde à vous! La mesure est comble et le peuple est las de se voir votre jouet.
Il lit un factum injurieux, qui exige au nom du peuple la sanction des décrets.
Sans émotion apparente, le roi se borne à répondre : Je ferai ce que la Constitution m’ordonne de le faire.