Le peuple entre en scène !
A Paris, la colère grondait. le roi avait renvoyé Necker, le populaire ministre des finances et des rumeurs annonçaient l’entrée des troupes royales dans la capitale. Après s’être emparés des armes entreposées aux Invalides, les parisiens se rendirent à la Bastille, prison où étaient stockées les réserves de poudres .
Le film des évènements
5 mai 1789 – Réunion des Etats Généraux à Versailles
20 juin 1789 – le serment du jeu de Paume
23 juin 1789 – Mirabeau réplique à M. De Dreux – Brézé lors de la séance royale des Etats.
14 juillet 1789 – Pillage des Invalides
14 juillet 1789 – Prise de la Bastille
Le 14 juillet, Paris ne s’occupe pas plus de l’Assemblée Nationale que du Roi. La recherche des armes a recommencé dès six heures du matin, après une nouvelle nuit éveillée, où des bruits renouvelés annonçaient presque à chaque heure le retour des troupes de Besenval. A tout hasard, on a élevé quelques barricades dans les rues, pour protéger, à l’Hôtel de Ville, l’assemblée inattendue des électeurs, que la capitale s’est donnée toute seule.
Un premier flot de Parisiens, encadré par des miliciens à cocardes bleu et rouge, se concentra devant les Invalides, où des milliers de fusils devaient être entreposés. Le gouverneur, Sombreuil, se doutait bien qu’il allait subir ce choc, et avait demandé de l’aide à Besenval, dont les troupes campaient à deux pas de là, au Champ-de-Mars. Mais celui-ci lui avait seulement conseillé de faire saboter les fusils en retirant la baguette et en dévissant le chien. Les quelques invalides, qui approuvaient en fait l’insurrection, y mirent tant de bonne volonté que vingt fusils à peine furent démontés en six heures. Sombreuil essaya de gagner du temps en parlementant avec un délégué des électeurs; quand il sortit des bâtiments, la foule s’y engouffra avant qu’il n’ait fait fermer la grille sur sa voiture.
Les fusils arrachés aux Invalides furent transportés place de Grève et distribués par les électeurs. Mais les munitions? L’Arsenal était encore le plus important dépôt de poudre pour les armées du Roi. Or, il n’y en avait plus : Besenval l’avait fait transférer à la Bastille, plus apte à se défendre contre les assauts populaires. Alors, à partir de midi, le cri qui allait devenir celui de la journée – A la Bastille! A la Bastille!- se propagea dans tout Paris.
Vers midi, le gros des insurgés commence à se rassembler autour de la redoutable forteresse, dont les hautes murailles écrasent de leur masse, presque sans ouverture, le débouché du faubourg Saint-Antoine, et défendent l’accès de Paris depuis sa construction sous le roi fou Charles VI. La Bastille a repoussé depuis maints assauts, surtout pendant les guerres de religion, mais encore jusqu’à la Fronde, et n’a jamais été prise, d’où sa réputation d’invincibilité, et la terreur presque sacrée qu’elle a inspirée, même si elle n’est plus consacrée, à partir de Louis XIV, qu’à héberger les « hôtes forcés » du Roi, à raison de quarante, puis trente, puis vingt, en moyenne, par an, quelques-uns restés célèbres, comme Fouquet, ou le mystérieux homme au masque de fer, mais aussi deux fois Voltaire dans sa jeunesse, Latude, un escroc de haut vol, qui s’en est évadé plusieurs fois et vient de publier des mémoires sur elle. Plus récemment, on y avait enfermé le cardinal de Rohan avec beaucoup d’égards, Cagliostro, et… le marquis de Sade, qui a été transféré à Charenton au début de ce mois.
Des rumeurs ont souvent couru sur une autre espèce de prisonniers, celle des inconnus, parfois oubliés pendant des années, dont la plupart ont été enfermés par lettres de cachet sur le vœu de leurs familles.
En fait, sous Louis XVI, la Bastille ne fait que se survivre en tant que prison, où, s’il y fait très froid l’hiver, les détenus bénéficient d’un traitement souvent soigné, avec domestiques, repas apportés par des traiteurs, et une relative prévenance des gardiens. Elle emploie maintenant plus de monde qu’elle ne renferme de prisonniers : outre le gouverneur à soixante mille livres par an, des officiers, des médecins, des chirurgiens, des apothicaires, des aumôniers, des cuisiniers, etc. 932. Mais elle continue à faire peur par son appareil militaire impressionnant. Elle a pratiquement repris son rôle de défense de la capitale, contre une attaque qu’on ne s’attendait pas à voir se produire.
La foule ne pense guère à en délivrer les captifs, tous inconnus, et dont on ignore qu’il n’y en a plus que sept, pour la plupart des malades mentaux. Elle s’égosille à réclamer la poudre et des cartouches, que le gouverneur, Launay, n’a aucune intention de livrer. Chez lui, on est gouverneur de la Bastille de père en fils, comme d’autres possèdent des fiefs. C’est là qu’il est né, en 1740, et sa fidélité au Roi fait partie de sa nature, d’une honnête médiocrité, sans cruauté, sans bonté. Il fait seulement preuve d’une irrésolution presque pathologique, dont il va être la victime en ce 14 juillet, où il affronte le premier péril sérieux que la Bastille ait couru depuis qu’il en a la charge.
De Launay s’attendait pourtant à l’épreuve que Sombreuil vient de subir aux Invalides, mais il comptait sur les quinze canons formidables qu’il fait avancer, première maladresse, aux créneaux des tours, ce qui provoque le premier déchaînement d’irritation des assaillants contre lui. Il fait confiance aussi à l’épaisseur de ses murailles, plus encore qu’à la garnison réduite : quatre-vingts invalides, dont beaucoup sont connus dans le faubourg et tournent eux aussi du « mauvais côté »; il vient de les faire renforcer par les trente Suisses de Salis-Samade, que Besenval lui a envoyés. C’est bien peu pour tenir tête à des milliers de Parisiens déchaînés; mais il a fait replier ses hommes dans les cours intérieures, là où il faudrait accéder par deux pont-levis successifs, qu’il a fait relever dès le matin.
Malgré ses craintes devant la grande affluence, il ne croit pas sérieusement que la plus belle forteresse du Roi, même défendue par un petit nombre de soldats, pourrait succomber à l’assaut éventuel de menuisiers, d’ébénistes, de serruriers, de ciseleurs, de cordonniers, de marchands de vin, de chapeliers, de teinturiers, qui n’ont jamais vu le feu