Des courtisans se soulageant dans les couloirs, un roi recevant sur sa chaise percée et très peu soucieux de propreté personnelle…
Les témoignages ne manquent pas sur l’envers crasseux du Grand Siècle.
Pourtant, le règne de Louis XIV a vu des efforts sans précédent pour alimenter en eau courante, saine et bonne à boire, aussi bien le château que la ville de Versailles.
Des vaches dans la galerie des Glaces
CONSIGNE DE 1754.
« Les sentinelles ne souffriront pas qu’il soit mené sans autorisation des bestiaux dans l’intérieur du château… «
Il n’y a que les princes ou princesses de la famille royale qui aient le droit de faire venir jusqu’à leurs appartements des vaches, chèvres ou ânesses.
Recevoir sur sa chaise percée
L’humour scatologique étant très prisé, certains équipements portent. au temps de la guerre avec la Hollande, le nom de« Voyage aux Pays-Bas » …
Les chevaliers porte-coton, chargés de superviser le bon fonctionnement du matériel et d’assurer la toilette après les besoins naturels, ont disparu (ils existent encore en Espagne), mais l’habitude de recevoir sur sa chaise percée subsiste. Être gratifié d ‘un brevet d ‘affaires permettant d »accéder au roi même quand il est installé sur sa chaise percée, n’est pas un mince
privilège.
Il faut nous résigner à cette déplaisante constatation : nos pères étaient sales. Montaigne qui, en sa qualité d’original, estimait le « baigner salubre », blâmait fort ses contemporains « de tenir leurs membres encroustés et leurs pores estoupés de crasse ».
Cette acceptation de la « pouacrerie » avait encore progressé du XVIe au XVIIe siècle ; quand Louis XIV apparaissait dans la Galerie des Glaces, costumé en dieu et couvert de tant de diamants qu’il fléchissait sous leur poids… il ne s’était pas lavé le matin !
Au XVIIIe siècle, la propreté n’avait pas plus d’adeptes ; et l’on pense tout de suite à ce que devait être ce merveilleux Versailles où s’entassaient, tant bien que mal, dix mille personnes pour qui le savon et l’éponge étaient accessoires insolites.
Ainsi, ces boiseries si joliment fouillées se patinaient au contact de mains malpropres ; dans ces boudoirs qui semblent faits pour servir de temples aux amours, flottaient des odeurs suspectes ; les hôtes de ces pompeuses chambres, au sortir de leurs lits surmontés de dais à bouquets de plumes blanches, enfilaient tout droit leurs chausses et coiffaient leurs huileuses perruques.
En fait de matériel de toilette, rien : si ce n’est, sur quelque commode pansue, une de ces minuscules cuvettes, grande comme un bol, et un de ces pots à eau pour poupée, tels qu’en représentent certains tableaux de Boilly.
On trouve bien, çà et là, dans cet inextricable dédale, quelques salles de bains; Louis XV en possède une, charmante, encore aujourd’hui intacte, et sur laquelle les travaux de Pierre de Nolhac nous ont complètement renseignés ; la Dauphine, Mme du Barry, la comtesse de Provence jouissent du même avantage, évidemment réservé aux raffinés ou du moins aux très gros personnages. Mais les autres?
Et cela n’est encore qu’un des moindres inconvénients. Si les cabinets de bains ou de toilette sont objets de grand luxe, d’autres cabinets, non moins indispensables, sont tout à fait inconnus; et alors, on a de grands parapluies de cuir qu’on ouvre pour traverser les cours et sous lesquels on se met à l’abri de ce qui tombe des fenêtres.
Le tableau qu’il trace de Versailles est celui d’une sentine.
C’est, note-t-il, « le réceptacle de toutes les horreurs de l’humanité… Le parc, les jardins, le château même font soulever le coeur par leurs mauvaises odeurs. Les passages de communications, les cours, les bâtiments en ailes, les corridors sont remplis d’urines et de matières fécales ; au pied même de l’aile des ministres, un charcutier saigne et grille ses porcs tous les matins ; l’avenue de Saint-Cloud est couverte d’eaux croupissantes et de chats morts ».
Il faut en passer et non des moins typiques. Jusqu’à la porte même de la chambre du roi montait l’infection ; là, derrière un paravent, un gros suisse vivait, cuisinait son déjeuner, mangeait, dormait et… digérait.
On défendait, il est vrai, de fumer dans la Grande Galerie, mais on y rencontrait des bestiaux ! Oui, les princes et princesses de la famille royale avaient le droit de faire venir jusqu’à leurs appartements des vaches, chèvres et ânesses, afin de boire du lait frais…
Vers 1830, Viollet-le-Duc, encore étudiant, visita un jour le château de Versailles en compagnie d’une vieille marquise qui avait connu la Cour en ses beaux jours d’avant 89. La noble dame ne s’y retrouvait plus ; certes, elle reconnaissait bien les grands salons et les galeries d’apparat; mais quand on pénétra dans les petits appartements, elle s’avoua perdue et désorientée. Ces enfilades de pièces démeublées et nettes ne lui rappelaient rien. Enfin, l’on parvint à un endroit où un tuyau de décharge, crevé par la gelée, avait inondé le parquet d’immondices. L’infection était à faire reculer ; la vieille marquise poussa un cri dé joie :
— Ah ! je m’y revois, dit-elle ; voilà le Versailles de mon temps… C’était partout comme cela !
Il faut bien dire que ce splendide Versailles, qui nous apparaît si somptueusement imposant, manquait absolument de « confortable ». Dès les premières fraîcheurs de l’automne, le château était inhabitable. Louis XIV, très endurci et si peu soucieux de ses aises qu’il couchait dans un lit infesté de punaises, ne supportait pas qu’on grelottât ; mais les simples mortels n’avaient pas son endurance : des courants d’air homicides soufflaient dans l’immense palais de glaces et de marbres, toutes portes béantes.
C’est alors qu’on vit apparaître les chauffe-mains, les chauffe-pieds, les calottes, les paravents monumentaux, accessoires qui, sans déroger à l’étiquette, protégeaient quelque peu contre les frimas.
Dans leur particulier, les habitants du château tentaient de se réchauffer de leur mieux : la marquise de Rambouillet cousait sur son corps une peau d’ours ; la maréchale de Luxembourg passait tout l’hiver dans sa chaise à porteurs en société de nombreuses chaufferettes ; une autre, au risque d’être rôtie, s’enfouissait dans un tonneau posé sur une bassinoire brasillante, suivant en cela l’exemple du médecin Charles Delorme qui couchait sur un four en briques, se couvrait la tête de huit bonnets et garnissait ses jambes d’autant de paires de bas auxquels il ajoutait des bottes fourrées de peaux de mouton.
Cela n’empêchait pas les sauces de geler dans les plats sur la table royale; les carafes ne contenaient que des glaçons, et la neige qui s’engouffrait dans les larges cheminées y retombait en pluie et éteignait les flammes. Louis XV avait si froid dans son lit que, bien avant qu’il fit jour, il se réfugiait dans son cabinet, échafaudait les bûches et soufflait sur les braises.
Lorsque je me lève, disait-il, avant qu’on soit entré, j’allume mon feu et je n’ai besoin d’appeler personne ; il faut laisser dormir ces pauvres gens : je les en empêche assez souvent.
Comment lutter contre une telle calamité ? On cherchait le remède sans aboutir à aucun résultat pratique. L’un de ces nombreux inventeurs avait bien proposé, dès le XVIIe siècle, l’emploi d’une machine « propre à donner de la chaleur dans les appartements de Sa Majesté, en y introduisant, préalablement chauffé, le grand air du dehors incessamment renouvelé et purifié de toute sorte de mauvaise qualité » (sic) ; il ajoutait que l’emploi de ce procédé serait plus justifié à Versailles que partout ailleurs, « car l’air extraordinairement froid qu’on y respire est d’autant plus nuisible qu’il est renfermé et contient en lui toutes les odeurs méphitiques et les haleines d’un nombre infini de personnes ».
C’était le principe de nos calorifères ; par malheur, l’ingénieux précurseur prétendait établir ses chaudières sur le toit du palais, et doutait lui-même que l’air chaud consentit à descendre de si haut jusqu’aux appartements du roi. Le projet fut donc abandonné, et la cour de Versailles dut se résigner, non seulement à grelotter, mais à vivre durant tout l’hiver dans un brouillard de fumée si dense et si tenace qu’on ne distinguait rien que de vagues ombres quand on circulait, aux jours d’affluence, dans les galeries, les salons et les antichambres, imprégnés d’une âcre odeur de suie qui persistait jusqu’au plus fort de l’été. Les cheminées, en effet, tiraient mal, et les architectes s’évertuaient, sans y parvenir, à triompher de cet inconvénient : il eût fallu tout démolir, refaire les murs, et l’on se refusait à gâter l’admirable décor créé par les artistes du grand roi.