À l’été 1789, de folles rumeurs parcourent la France. Craignant des brigands ou des envahisseurs étrangers, les paysans s’arment et s’assemblent. Puis ils s’en prennent aux châteaux. Cet épisode de la grande peur marque l’entrée des masses populaires dans la Révolution. Il signe aussi l’arrêt de mort de l’Ancien Régime.
Dans les jours qui suivent la nouvelle de la prise de la Bastille, on colporte à travers la France le récit de la vengeance des privilégiés. On croit avoir vu, bientôt on a vu les troupes de mercenaires anglais, piémontais ou allemands auxquels ils ont livré le pays ; on a surpris les troupes de brigands qui s’apprêtent à couper sur pied les blés à venir, à rançonner et à massacrer les communautés. Au hasard de son cheminement, de proche en proche, la rumeur s’enfle de nouveaux détails qui la rendent plus crédible ; du coup, tout signe est spontanément interprété de façon à prendre place et sens dans la fable qui court les campagnes.
Souvent, aussi, on n’en reste pas là. Contre la menace, les communautés réagissent. Elles s’organisent pour affronter, avec leurs moyens de fortune, ces ennuis imaginaires (ce qui peut avoir pour conséquence d’accroître encore la confusion). Dans l’épreuve pressentie, le sentiment de solidarité, préparé par les luttes et les espoirs des mois précédents, se renforce. Il désigne un adversaire: le seigneur, responsable de ces maux-ci en plus de tous les autres.
La peur achève de souder la coalition antiseigneuriale et, dans les réponses que les ruraux inventent face au danger, elle démultiplie, dans des régions jusque-là indemnes, les effets de la révolte agraire.
C’est ainsi que les paysans font leur entrée dans la Révolution. Elle est massive. Elle est inattendue aussi. Elle inquiète les bourgeoisies provinciales, amies de l’ordre, et souvent associées, par ailleurs, à l’exploitation seigneuriale, à la spéculation sur les grains, à la machine fiscale. A l’Assemblée et à Paris, le problème n’est pas moins urgent. Peut-on laisser l’insurrection des campagnes gagner de proche en proche ? Faut-il réagir classiquement par la répression et rendre au roi l’initiative ? ou au contraire prendre appui sur le mouvement pour la conserver à l’Assemblée ? La nuit du 4 août va aussi être une réponse, habile et ambiguë, à cette alternative.
L’on annonce que du côté des plaines de Montmorency, plusieurs milliers de brigands sont armés, font des dégâts considérables, coupent les blés en vert, pillent les maisons des habitants, égorgent même quiconque s’oppose à leurs desseins ; il arrive de ces lieux des femmes et des enfants en larmes, qui fuient le carnage ; déjà les ordres sont donnés, la milice bourgeoise se précipite dans ces plaines ; on y traîne du canon ; après une marche forcée, l’on arrive enfin ; l’alarme était générale, le tocsin se faisait entendre dans toutes les paroisses.
Eh bien ! qui le croirait? Il n’y avait ni ennemis ni brigands. A peine sait-on comment l’alarme a pu naître.
Quelques moissonneurs s’agitaient, des femmes les ont aperçus de loin et l’une s’est imaginé d’abord que ce sont des brigands. Aussi cette femme le dit à d’autres ; celles-ci s’effrayent, courent, arrivent en larmes dans leurs villages, répandent l’effroi. Des hommes s’arment, l’on court au clocher et soixante paroisses sonnent l’alarme et un peuple entier de la capitale pense déjà qu’il faut exterminer les brigands, que peut-être ce sont des nouvelles perfidies, quelques trahisons.
Mais ce qui est bien pis, c’est que la milice bourgeoise, ayant conduit du canon dans ces beaux lieux, désire absolument faire preuve de son courage et plusieurs citoyens veulent décidément combattre un ennemi, quelque part qu’il se trouve. Précisément des lièvres se présentent, et l’on fait la guerre à ces messieurs ; le canon ne tire pas encore ; mais un feu roulant fait tomber par douzaines des têtes de lapins et de levrauts.
Le bruit de l’artillerie est entendu de cinq à six lieues à la ronde, et voilà qu’on en est aux mains avec l’ennemi Le tocsin redouble de toute part durant la nuit, le trouble et l’épouvante croissent, la cavalerie court de tous côtés, cherche des preuves et l’écho de l’effroi vient troubler l’armée qui le cause. Elle doute elle-même s’il n’y a pas réellement du danger, heureusement que l’aurore bienfaisante vient dessiller les yeux, et chacun rit de sa méprise. Peuple crédule, serez-vous toujours effrayé de votre ombre?