A l’enfant humilié par les jésuites, il oppose la raison triomphante; à la carrière des armes, celles des sciences et à la monarchie, la République, dont il est un des tous premiers partisans. Condorcet est bien l’homme des Lumières : il croit au progrès et veut diffuser par l’instruction. Condorcet est bien le bon papa de l’école laïque.
Le 8 juillet 1793, Chabot obtient d’une poignée de députés présents à la Convention un décret d’arrestation contre Condorcet. Celui-ci trouve alors refuge chez une femme admirable qui accepte de le cacher tout le temps nécessaire. Pendant les neuf mois qu’il passe chez elle, tapi comme un animal traqué, Condorcet lutte contre ses angoisses, de plus en plus fortes, par un travail intellectuel exceptionnel. A-t-il su que, durant l’été 1793, Sieyès, Lakanal et Daunou ont proposé au comité d’instruction un nouveau projet qui revient sur le principe de la laïcité et supprime les degrés supérieurs de l’enseignement ? Que seul Romme s’est battu pied à pied pour préserver le sien ? La pensée de Condorcet n’est plus au débat politique, mais à la philosophie, aux mathématiques et surtout à sa jeune femme, qu’il adore, et à sa petite fille de trois ans.
Encouragé par son épouse, il écrit en trois mois une œuvre immense, l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, qui retrouve l’inspiration de ses maîtres chéris : d’Alembert et Turgot. Par cet ouvrage, il donne toute sa force au message de la philosophie de l’Encyclopédie : les progrès de l’esprit humain ouvrent la voie à ceux de la condition humaine. Et comme les premiers sont indéfinis, l’humanité voit s’ouvrir des perspectives illimitées d’un bonheur toujours nouveau. Lui, le proscrit, le traqué, annonce la venue inévitable du jour où la dignité de l’homme sera partout reconnue, où la raison répandue par l’instruction mettra fin à l’insupportable servitude de l’homme.
Son travail terminé, Condorcet se remet au calcul intégral, qui avait fait sa jeune gloire et qu’il n’avait jamais cessé de perfectionner. Mais quand il lui faut quitter son refuge pour ne pas mettre en danger la vie de son hôtesse, Condorcet paye un dernier tribut à l’école de la République. Pensant à sa petite Eliza, il compose à l’intention des enfants de l’école primaire un manuel : Moyens d’apprendre à compter sûrement et avec facilité.
Ayant appris qu’on allait perquisitionner chez sa logeuse, il quitta la maison pour ne pas la compromettre, et s’enfuit de Paris à pied en direction de Clamart, où il pensait être recueilli chez ses amis, les Suard. Arrêté dans une auberge (imprudent, il y avait demandé une omelette de douze œufs !) il fut emmené dans la prison de Bourg-la-Reine sur une charrette, car il n’était plus capable de marcher. Le lendemain matin, il fut découvert mort dans sa cellule : il s’était empoisonné.