La reprise en main de Pétain

A bas la guerre !

Devenu général en chef en 1917, Pétain réprime les mutineries et soigne sa popularité auprès des soldats en améliorant leur quotidien.
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Voëgtlin : J’ai pris part à la manifestation du 29. J’ai suivi le mouvement.
Daudrunez : J’ai été poussé par un sentiment de curiosité, mais je désapprouve le but de ces manifestations, ayant ma famille en pays envahi.
Hattenville : J’ai participé à la manifestation dans un but de curiosité. Le 30, j’ai fait comme les camarades. Parler à haute voix est préférable au silence.
Labourg : Les camarades ont dit : Si vous en avez marre de la guerre, suivez-nous. J’ai suivi car voilà trois ans que cela dure.
Coquelin : J’ai fait comme les camarades mais je n’ai manifesté que le 29. Nous voulions manifester en faveur de la paix.
Mathiaud : Je savais qu’on commettait une faute grave, mais j’ai suivi comme tout le monde sans bien avoir le temps de réfléchir.”
A savoir
Paroles de mutins. Interrogatoire de six suspects du 1er bataillon du 129e RI

Etre prodigue d'acier et avare de sang.

Pétain et les poilus en 1917
Il est temps, et plus que temps, d'arrêter l'hémorragie qui est en train de saigner à blanc l'armée française. Dès sa prise de commandement, Pétain fait savoir qu'il ne lancera pas de folle offensive. « Le feu tue », proclame-t-il. En énonçant cette vérité évidente, il entend avant tout réagir. Offensives à outrance, percée à tout prix, tout cela n'est pour lui que funeste mystique. Surtout dans les circonstances présentes.
Tous les combats qui' se sont déroulés depuis août 1914 ont montré qu'à forces sensiblement égales, la défensive l'emporte nécessairement sur l'offensive. Il faut donc attendre, pour livrer l'offensive finale qui libérera le territoire et apportera la victoire, d'avoir une réelle supériorité numérique. Cette supériorité numérique, les Américains vont l'apporter aux Alliés.
Attendre... Tel est donc le nouveau mot d'ordre. Economiser. Etre « prodigue d'acier et avare de sang .»
C'est d'autant plus vrai que les effectifs de l'armée française s'amenuisent de jour en jour et que les pertes ne peuvent plus être compensées. Les dépôts sont presque vides, au point qu'il va falloir supprimer au moins dix divisions. Le front russe s'effondre. Du jour au lendemain, on peut voir arriver sur le front ouest au moins cinquante divisions. Le seul moyen de s'en sortir est de s'enterrer et de jouer la défensive.
Afin de bien montrer qu'il ne s'agit pas là d'idées en l'air mais d'une véritable doctrine, Pétain rédige, dès le 19 mai, un document intitulé : Directive N° 1
« Dans la guerre actuelle, écrit-il, la puissance meurtrière du feu ne permet pas les expériences... Il faut renoncer à toute tentative de percée, ne pas lancer de grandes attaques en profondeur. Si l'on doit attaquer, ce sera d'une façon ponctuelle en s'assurant à l'endroit choisi une incontestable supériorité. »
« L'équilibre des forces adverses en présence sur le front du Nord-Est ne permet pas d'envisager, pour le moment, la rupture du front suivie de l'exploitation statégique.
»
Par la suite, Pétain préconisera de véritables cours de recyclage pour les officiers (directive N° 2) et il tentera d'imposer la « défense élastique » qui a si bien réussi à Ludendorff.
Toutes ces mesures n'ont qu'un but : économiser le sang et, très vite, les soldats en sont conscients.

Pétain... A la rencontre les poilus

pétain et les mutineries de 1917
Tout se redresse. D'ordre exprès du général en chef, les unités descendant du front sont obligatoirement envoyées dans les zones soustraites au feu de l'artillerie ennemie. Les hommes doivent être laissés au repos absolu pendant quatre jours. Ils sont ensuite ou remis à l'instruction ou, dans la plus grande proportion possible, envoyés en permission. Mais Pétain réorganise personnellement le transport des permissionnaires, fait imprimer un guide à leur usage, multiplie les itinéraires, crée près des gares de triage des centres d'accueil pourvus de cantines, des salles de douche, des coopératives et des bureaux de poste.
Il donne des ordres pour que la nourriture soit l'objet de l'attention constante des chefs de corps. Il entreprend une tâche écrasante : visiter l'une après l'autre toutes les divisions de l'armée.
Des centaines de milliers de soldats le verront de leurs yeux. Des milliers d'officiers, de sous-officiers, d'hommes de troupe même formeront le cercle autour de lui et seront invités à faire entendre librement leurs doléances.
Procédure hardie, mais à laquelle la personnalité de Pétain enlève tout danger. Ce n'est pas un démagogue flattant le troupier. Il reste distant, s'abstient de toute effusion, réfrène par sa seule attitude les écarts de langage ou les excès de récriminations. Lorsqu'il parle, il ne biaise pas. Il ne manque jamais de poser comme premier principe que la discipline sera maintenue en toutes circonstances avec la plus grande fermeté. S'il s'adresse, comme c'est souvent le cas, à des unités dans lesquelles des mutineries se sont produites, il ne feint pas de l'oublier et de passer l'éponge ; il rappelle les faits sévèrement, blâme les responsabilités et ne laisse aucun doute sur la dureté de la répression qui frapperait une récidive. L'humanité de Pétain n'est pas une sentimentalité pleurnicharde et encore moins la démission de l'autorité ; c'est la pleine conscience des souffrances de l'homme et une vision réaliste des moyens qui peuvent les atténuer.
Il lui arrive de se tromper. « Messieurs, dit-il à un groupe d'officiers du 2e corps colonial, si vous aviez observé les prescriptions que je viens de vous rappeler, les incidents regrettables qui se sont produits chez vous n'auraient pas eu lieu... » Le commandant du corps d'armée, le général Marchand, le Marchand de Fachoda, sursaute : « Mais, mon général, vous faites erreur, aucun mouvement d'indiscipline ne s'est produit au 2e corps colonial. Jamais ! Absolument jamais ! » Il est caractéristique que Pétain, mauvais coucheur, ne s'excuse pas de sa méprise et détourne la conversation en demandant si le 2e corps est allé à Verdun. « Non, riposte Marchand, le général le plus souvent blessé de toute l'armée française, mais puisqu'il semble que ce nom manque à notre palmarès, je vous prie instamment de nous y envoyer... » Jean-Baptiste, comme l'appellent ses hommes, y sera blessé une nouvelle fois.
Rapidement, la vague de mutineries décroît. Du 1er au 10 juin, le nombre de cas a été en moyenne de sept par jour. Il tombe à un cas par jour pour le reste du mois, puis à sept seulement pour la totalité du mois de juillet. En août, on relève encore quatre cas d'indiscipline ; en septembre, un seul ; en octobre, zéro. L'armée française est rentrée dans le devoir.

Les conseils de guerre

Au total, les conseils de guerre ont prononcé 554 condamnations à mort, dont 63 % à l'unanimité. Quarante-neuf condamnés ont été exécutés : les autres ont été graciés. Ce qui signifie qu'un mutin sur 80 environ a été condamné à mort et qu'un condamné à mort sur 10 a été exécuté. Outre ces peines de mort, les conseils de guerre prononcèrent près de 2 900 condamnations aux travaux forcés ou publics et à la prison. Mais dans la moitié des cas ils avaient accordé les circonstances atténuantes; dans un cas sur huit, le sursis; dans trente-quatre cas, ils avaient décidé l'acquittement. D'autre part, cette justice ne fut pas une justice sommaire : moins de 3 % des condamnations à mort furent prononcées dans les cinq jours qui suivirent la mutinerie, et les accusés bénéficièrent de garanties sérieuses. L'instruction ne fut pas réduite à une simple formalité et les conseils de révision des armées cassèrent un jugement sur sept. Dans les quelques cas où les conseils de guerre parurent avoir rendu leurs sentences sous la pression de généraux ou de présidents trop partiaux, Pétain n'a pas hésité à ordonner des enquêtes auxquelles participèrent des représentants du ministre de la Guerre.
Certes, il ne s'agit là que de la répression officielle. Sa modération pourrait servir d'écran à une répression clandestine : exécutions sommaires, décimations, missions de sacrifice. Il est naturellement impossible d'exclure l'existence de quelques exécutions sommaires, mais elles ne paraissent guère concevables. Non seulement les officiers ont souvent cherché à épargner à leurs hommes les conséquences de leur refus d'obéissance en faisant le silence sur leurs actes, mais une exécution sommaire soulève des difficultés considérables dans une unité qui n'obéit plus. Pétain lui-même a montré l'exemple : il n'a usé que sept fois du droit qui lui avait été accordé de faire procéder à des exécutions immédiates. Des bruits de décimation d'unités ont, en outre, circulé avec insistance, notamment en ce qui concerne le 66e R.I. Tous les documents, tous les témoignages, officiels ou privés, montrent que ces bruits sont sans aucune consistance. Quant aux missions de sacrifice par lesquelles on peut sanctionner discrètement les défaillances d'une troupe, peut-on considérer que d'avoir confié à deux des divisions mutinées le soin d'instruire les premières divisions américaines débarquées soit une mission de ce genre ?
Ainsi, les archives ont permis de connaître le déroulement de la crise d'indiscipline de 1917 et les modalités de la répression. Elles ont permis également de lever le voile sur les mutins eux-mêmes. Ce qui frappe, c'est leur diversité. Diversité des âges de dix-sept à quarante-huit ans, des milieux professionnels — pratiquement toutes les professions sont représentées avec une forte proportion d'agriculteurs —, des origines géographiques — tous les départements ont eu des condamnés —, des situations familiales — célibataires et pères de quatre enfants —, des antécédents judiciaires 60 % des prévenus n'ont jamais fait l'objet de condamnations antérieures, mais l'un d'eux avait déjà été condamné cinquante-deux fois. On ne peut pas dire que les mutins aient constitué un groupe professionnel, régional, politique ou syndical : ils n'étaient que des combattants unis par la même protestation contre la même force de guerre. Ces combattants, souvent les plus braves, se sont révoltés, estimant que la preuve de leur impuissance à vaincre le matériel et les fortifications était faite.
un conseil de guerre en 1914-1918
L’organisation de la justice militaire se durcit dès le début de la guerre : suspension du recours le 17 août 1914 pour
plus de rapidité, puis création en septembre des conseils de guerre spéciaux, à l’initiative de Joffre. Ces cours martiales
sont modifiées par la loi du 27 avril 1916 qui réintroduit les circonstances atténuantes et la présence de la défense.
Le 8 juin 1917, Pétain obtient du gouvernement la suspension du recours pour les soldats condamnés à mort pour mutinerie, mesure que Paul Painlevé, ministre de la Guerre, lève un mois plus tard.
A savoir
Les errements de la justice militaire