Les permissionnaires

Le repos du Poilu

Rien n’est prévu pour le retour au foyer. A l’arrière, femmes et enfants ne sont souvent pas préparés à retrouver ces hommes usés, rendus différents par l’expérience du feu.
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Ce qui fait hurler les poilus, ce sont les planqués et, avant tout, les ouvriers mobilisés. Ils sont des dizaines de milliers, plus ou moins spécialisés, à avoir été rappelés du front pour travailler dans les usines d'armement. Alors qu'en France les soldats doivent se contenter de cinq sous par jour, ils gagnent vingt-cinq francs et ils commencent à parler de se mettre en grève pour obtenir davantage. Les paysans, qui forment les trois quarts du corps de bataille, se demandent pourquoi ils ne seraient pas rappelés eux aussi pour produire la nourriture dont le pays a besoin.
La petite histoire
Les planqués de l'arrière

Les permissions du front, un régime improvisé

Le moral des poilus en permissions en 14-18
Lorsque la mobilisation générale est déclarée en France, le 1er août 1914, il n'y a plus aucun permissionnaire parmi les conscrits des classes 1911, 1912 et 1913, ni parmi l'armée de métier : tous ont été rappelés dans les dépôts depuis une semaine. Les permissions, pratiques militaires du temps de paix, sont logiquement exclues une fois la guerre engagée : les stratégies militaires dominantes prévoient une guerre courte fondée sur la primauté de l'effectif, où le choc de gros bataillons permettra d'en finir en quelques batailles. Cette attente explique que dans tous les pays belligérants, aucune permission régulière ne soit accordée aux combattants avant 1915. Entre août 1914 et le printemps de 1915, seule la correspondance relie les hommes
à leur famille dans l'ensemble des armées combattantes.
Les hommes mobilisés à l'arrière, en revanche, sont d'autant plus privilégiés aux yeux des combattants qu'ils bénéficient rapidement de permissions le dimanche et les jours fériés, tandis que les affectés spéciaux des
usines, nombreux dans les régions industrielles comme la région parisienne, rentrent chez eux tous les soirs. Dans le cas des combattants français, seuls les blessés évacués du front ont pu passer quelques jours en famille à partir de décembre 1914, où les autorités militaires leur reconnaissent le droit à un congé de convalescence de sept jours lorsqu'ils sortent des formations sanitaires, à titre de récompense. Les permissions pour des événements familiaux importants, comme le décès d'un proche ou la naissance d'un enfant, sont restées exceptionnelles, accordées avec parcimonie aux combattants français à partir de 1915, mais le plus souvent refusées aux Anglais, et exclues pour les Canadiens ou les Américains.
Le prolongement de la guerre au-delà de l'hiver 1914-1915 rend de plus en plus pénible la séparation des familles, et les autorités militaires, parfois sous la pression des politiques, accordent en 1915 des permissions afin de soutenir le moral des civils et des combattants, mais aussi la vie économique et la natalité. C'est ainsi qu'à partir du printemps 1915, entre 3 et 7 % des combattants allemands peuvent partir en permission. Le 30 juin 1915, Joffre accorde aux combattants français huit jours de congé dans leur famille, à tour de rôle. Ils sont réduits à six jours à la mi-août : ce sont alors 5 % des unités combattantes et 10 % des unités de réserve qui peuvent partir simultanément en permission lorsque la situation militaire le permet.
Quel effet le « choc de l'arrière » fit-il sur la marée presque continue des permissionnaires? Elle n'était interrompue qu'avant les offensives ou dès leur début, comme elle le fut lors de nos grands revers du printemps 1918. Dans l'ensemble, du contact des soldats avec l'arrière et de la facilité de ses moeurs, l'incompréhension réciproque qui en résultait ne fit que s'accroître avec le temps.
Les bains renouvelés des permissionnaires dans la vie civile ne contribuèrent pas à améliorer leur moral respectif. Ce ne fut pas pour les mêmes raisons que chez les Allemands : dans les derniers mois de guerre, le pessimisme des civils s'y accroissait du défaitisme des permissionnaires, et celui-ci de la famine rencontrée à l'arrière, sans parler de la contagion de la révolution russe.

Le malentendu entre les permissionnaires et les civils

Les poilus en permission pendant la première guerre mondiale
Les combattants ne tiennent pas en général à raconter des histoires; ce sont les embusqués du front, les faux combattants qui les inventent, pour faire croire à leur héroïsme. Les vrais savent qu'ils courraient grand risque de n'être pas compris; aussi leur arrive-t-il parfois de pousser la lâcheté jusqu'à acquiescer aux dires des civils et à se renier.
Quand le soldat veut se distraire aux Folies-Bergère, à l'Olympia ou au Casino de Paris, il tombe sur des allégories guerrières dont le ton l'exaspère : les femmes les moins habillées défilent dans les apothéoses, sur la musique de la Marseillaise, casquées de bleu horizon. Surtout l'amertume lui vient, pendant ses six jours de permission, du contraste entre les misères dont il sort et les plaisirs qui s'étalent à ses yeux.
Jamais tu ne croirais que nous sommes en guerre. Plus elle dure, plus ils s'amusent; des magasins éclairés, des autos superbes, des femmes chic avec petits chapeaux, grandes bottes, poudre de riz, manchons et petits chiens, et des embusqués avec de belles vareuses en drap fin, des culottes ajustées et des machins jaunes bien plus reluisants que nos officiers. Cest une chose que répètent inlassablement les hommes casqués et sales, en capote fanée et gros souliers, qui [errent] sur les boulevards (Tuffrau).
Ces hommes sevrés de tendresse et — pourquoi ne pas le dire? — d'amour physique pendant tant de mois sont surtout choqués par la luxure qui coule, à pleins bords, sans se cacher, dans les villes.

Un glissement de la moralité

La séparation forcée des époux, l'émancipation de la femme, l'incertitude des temps avec la menace de la mort ont provoqué chez les femmes (comme chez les hommes qui restent à l'arrière et chez les tout jeunes qui en profitent) un glissement de la moralité.
Il est vrai que les permissionnaires, surtout les jeunes gens qu'un mince galon a émancipés, alors qu'ils n'eussent été, dans le civil, que des étudiants besogneux, ne sont pas les derniers à vouloir bénéficier de cette facilité. La certitude du retour quasi immédiat au front, le chantage à la mort émeuvent presque automatiquement des femmes plus ou moins jeunes, chez qui aussi la peur de la mort donne à l'amour toute sa plénitude.
On sait que l'amour aime la mort et la gloire, et les permissionnaires abusent de la situation, non seulement auprès des femmes seules, mais des romanesques et des littéraires. Et puis, après tout, le prompt départ du soldat transforme la chute en simple passade qui n'engage pas à grand-chose. Le goût de l'amour, oublié dans la fatigue et la misère, et un peu effacé par la camaraderie masculine, revient en force à l'arrière.
L'institution des marraines n'y a pas peu contribué : leurs photos et leurs lettres qu'on regardait et qu'on lisait dans les cagnas provoquaient des rêves roses, et, si elles donnaient le cafard, pouvaient aussi bien l'enlever à l'approche de la permission.
Quand le filleul arrivait, explique G. Perreux, la marraine l'accueillait, l'invitait au théâtre, lui donnait bon souper, quelquefois bon gîte [et parfois] le reste... On comprend l'impatience que le soldat éprouvait à venir en permission... Des jeunes filles jetèrent leur bonnet par-dessus les moulins. Des hommes, des femmes mariés oublièrent leur devoir. Si la morale eut parfois à souffrir, le moral y trouva son compte... Des débrouillards s'arrangeaient pour avoir plusieurs marraines. On en citait un qui en collectionnait 44.

Delvert raconte qu'un sous-officier, il est vrai que c'était le cavalier de liaison auprès du colonel (et en plus il était titré) reçut, après avoir fait passer une annonce dans La Vie parisienne, spécialiste du genre, 263 réponses de femmes de toutes les conditions, depuis la femme du monde détraquée jusqu'à la femme de chambre d'un hôtel du Quartier latin. La plupart se déclarent sentimentales... et malheureuses. Assez peu de demi-mondaines (le demandeur n'est que sous-officier).

Un sujet général de mécontentement, la lenteur des trains

trains de permissionnaires en 1917-1918
Un sujet général de mécontentement chez les permissionnaires, qui ne s'adressait qu'indirectement aux civils, visait tout droit le commandement : c'était la lenteur des trains réservés aux pernissionnaires, les longs arrêts dans des gares de transbordement, où aucune facilité n'était prévue pour eux. lls y voyaient de nombreux trains avec premières et secondes — alors que les soldats ne connaissaient que les wagons de troisième les plus délabrés — lui passer sous le nez à grande vitesse, emportant les civils vers leurs affaires ou leurs distractions.
Cette négligence à l'égard des permissionnaires, qui d'ailleurs prolongeait de beaucoup leur absence du front, car leurs six jours ne comptaient qu'à partir de leur arrivée à destination, aida à créer l'état d'esprit qui détermina les mutineries de 1917. Aussi un des remèdes les plus efficaces fut-il apporté par Pétain, nouveau général en chef, quand il réussit à donner aux trains de permissionnaires, pour qui il avait fait rédiger un guide, la priorité sur tous les convois « descendants ».
De tout cela, que pourrait-on conclure Que les malentendus et l'incompréhension rencontrés en permission faisaient le retour plus joyeux que le départ? Certains l'ont dit ou ont semblé le dire.
La place du soldat, absent trop longtemps, a changé, et avec elle celle des membres de son entourage. « Avoir eu tant de mal à chasser le boche de ma tranchée. Et trouver ma belle mère installée dans mon appartement ! »
La crainte de l’infidélité des épouses mine souvent les relations conjugales. Les registres de police fourmillent d’histoires
de poilus surprenant celles qu’ils aiment dans les bras d’un autre. Ainsi, à l’occasion d’une permission, l’artilleur Le Fort se présente au domicile de celui qu’il sait être l’amant de sa femme. Ce dernier ouvre et Le Fort le tue de six coups de revolver. Il sera acquitté « sous les applaudissements du public » ! La défense avait plaidé que « prendre la
femme d’un poilu expose l’homme qui s’en rend coupable à une sorte de risque professionnel
»
La petite histoire
La crainte de l'indidélité des épouses
C'est à n'y pas croire mais les faits sont là et les documents existent : nombreux sont les hommes qui retournent au front avec un sombre soulagement. Au moins vont-ils retrouver la camaraderie des tranchées et la simplicité du devoir à accomplir. Pendant leur permission, ils ont eu le sentiment d'être des trouble-fête dans un monde qui s'est habitué à la guerre et qui ne s'intéresse aux soldats que du bout des lèvres.
A savoir
Un sombre soulagement