L’école, la mairie et l’église
En Petite Beauce, vers 1900. Les classes des garçons étaient tenues par les maîtres d'école, celles des filles par les maîtresses. L'opinion n'aurait jamais accepté qu'un homme enseignât à des fillettes, pas plus qu'une demoiselle apprît l'alphabet à des garçonnets. La lourde responsabilité de conduire les "grands" jusqu'au certificat d'études incombait au directeur et à la directrice; leurs adjoints torchaient et dégmssissaient les "petits", les purgeaient enfin de leurs expressions patoisantes. [...]
Le directeur faisait figure de notabilité dans les environs. Il était l'érudition personnalisée, l'homme savant du village, la tête pensante de la commune après le curé, bref le citoyen qui bénéficiait d'enviables vacances. Quand les paysans s'échinaient en moissons, lui se reposait. Le savoir livresque lui conférait le respect général. Tout comme son voisin le curé, dont il ne partageait ni les idées politiques ni les certitudes religieuses, cela va sans dire ! l'instituteur se doublait d'un agent électoral avant chaque consultation du suffrage universel. En sa qualité de secrétaire de mairie, il conseillait les paysans sur les démarches administratives à effectuer et rédigeait leurs lettres importantes. Il assurait la direction de la succursale de la Caisse d'épargne de Blois, où le dépôt maximal sur livret ne devait pas excéder 1500 francs. Le cas échéant, il procédait à l'arpentage des parcelles litigieuses. Son salaire annuel s'élevait à 1800 francs, plus une gratification de 300 francs pour le secrétariat de mairie. D'ordinaire, à la campagne, le maître d'école était également secrétaire de mairie. Il y avait des raisons à cela. D'une part, peu de gens se sentaient capables de se dépatouiller des paperasses administratives. De l'autre, un enseignant en primaire ne gagnait jamais des mille et des cents, de sorte qu’un petit supplémént financier lui procurait un brin d’aisance.
L’instituteur et le curé
L'instituteur et le curé se livraientt une guéguerre acharnée, au village. L'un détenait les certitudes du savoir, l'autre entretenait les mystères de la foi. L'un développait les esprits, tandis que l’autre confortait les âmes. L'un gardait les pieds sur terre, quand l'autre avait la tête au ciel. Fatalement, tout opposait les partisans de la laïque et les béni-oui-oui de la cléricature. Entre habitants d'une même bourgade, on en venait à se regarder en chiens de faïence. À l'époque, ce genre de scission se répétait partout.
Dans les années 1950, l'instituteur de Vouzon avait l'oeil aussi mauvais que le pied: il voyait de travers les écoliers qui délaissaient la classe pour l'instruction religieuse, mais l'âge l'empêchait de courser le jeune prêtre dont il jugeait si néfastes les enseignements. Certains jours, n'y tenant plus, il se chaussait non de souliers comme l'accoutumée, mais de sabots. De la sorte, il pouvait en lancer un à la tête du cureton quand celui-ci, qui cherchait à rassembler ses catéchumènes, osait s’approcher trop de l’école.
Le culte de la patrie
L’une des missions confiées à l’école publique par la Troisième République fut, avant la Grande Guerre, de forger les convictions revanchardes des jeunes générations. Sur les cartes murales, les départements de l'Est étaient colorés en rose : la France ne devait pas rester amputée des territoires annexés par Guillaume et Bismarck. On préparait allégrement la revanche jusque dans les écoles. Les instituteurs exerçaient leurs élèves au maniement d'armes avec des fusils en bois; les chants qu'ils faisaient apprendre exaltaient avant tout les vertus patriotiques. "Le mauvais écolier, lisait-on sur les couvertures des cahiers scolaires, est aussi un mauvais fils. Il sera un jour un mauvais apprenti et deviendra un mauvais sujet. Pour sûr, il sera aussi un mauvais soldat et un mauvais citoyen."