L'artillerie, arme principale des poilus dans les tranchées

Si l’artillerie fut incapable de détruire les abris en profondeur, elle fit un barrage efficace aux assauts d’infanterie

L'artillerie à tir rapide en 1914-1918

L'artillerie à tir rapide en 1914-1918

Au début de la guerre, cette artillerie était essentiellement constituée de canons de campagne à tir rapide conçus pour soutenir des forces en mouvement. Ces derniers étaient étudiés pour tirer des obus à haute vitesse sur des cibles visibles, selon une basse trajectoire.
Ainsi le « 75 » français, le meilleur canon de l’époque, léger et mobile, groupé en petites batteries pour le soutien immédiat à l’avance de l’infanterie, était capable de tirer à la cadence très élevée de huit coups par minute sur courte période, avec une portée maximale de 1 800 m. Le canon Krupp allemand de 77 mm, utilisé aussi par l’armée austro-hongroise, le canon de 18 britannique, les canons de 3 pouces russes et américains étaient des armes de qualité inférieure mais comparables. Ces mêmes modèles équipaient également les petites armées, grâce aux achats effectués auprès des grandes puissances.

Le rôle de l'artillerie lourde

Le spectaculaire accroissement du nombre de Pièces d'artillerie

Paradoxalement, le rôle que devait être conduit à jouer l’artillerie lourde apparut en pleine lumière dès les premières semaines du conflit, pendant la guerre de mouvement : le rôle des canons lourds allemands ( 420 mm) et autrichiens (305 mm) dans la destruction des forts de Liège et de Namur en août-septembre 1914 provoqua une première conversion des états-majors, à l’Est comme à l’Ouest. Puis, le début de la guerre de position rendit plus indispensable encore une artillerie lourde puissante, devenue nécessaire pour
atteindre les abris profondément enfouis dans le sol, pour détruire les tranchées, frapper les positions arrière de l’ennemi. Le bombardement de masse étant désormais la réponse tactique principale à la prolongation du blocage stratégique, l’ artillerie lourde, jusqu’ici utilisée dans la défense des positions permanentes, prenait la place de l’artillerie de campagne.
La guerre de position rendit également nécessaire la mise au point de nouveaux modèles de canons susceptibles d’atteindre des positions enterrées dans le sol, ce que n’ étaient pas capables de faire des canons destinés au tir tendu. Ce fut le rôle des obusiers, capables d’envoyer des obus en tir courbe et à courte distance sur ces cibles enterrées.
Au total, l’artillerie lourde en vint à dominer les différentes formes de tirs sur le champ de bataille, tirs dont il existait une très grande variété en fonction des objectifs tactiques poursuivis : tirs de représailles, tirs de démonstration, tirs de concentration, tirs de destruction ou d’anéantissement, tirs de réglage, tirs de barrage, d’encagement, de harcèlement, etc., sans même parler ici des tirs d’obus toxiques, dont la proportion s’accrut considérablement au cours du conflit. Il faut également noter la place prise par le bombardement des villes adverses (en parallèle avec le développement du bombardement aérien), qui souligne l’abrasion de la distinction traditionnelle entre population combattante et population civile (le bombardement de Paris entre le 23 mars et le 9 août 1918 par quatre canons lourds installés dans l’Aisne, qui tirèrent 300 obus de 125 kg à une distance de 140 km, provoqua la mort de 256 personnes, pour 620 blessés).

Le spectaculaire accroissement du nombre de Pièces d'artillerie

Le spectaculaire accroissement du nombre de Pièces d'artillerie pendant la Grande Guerre

Ce rôle nouveau de l’artillerie se traduisit par un spectaculaire accroissement de la quantité de pièces utilisées et du nombre de coups tirés. Sur la somme, lors du bombardement allié de sept jours qui précéda l’offensive du 1er juillet 1916, 1 500 000 obus furent tirés par les 50 000 artilleurs britanniques. En 1918, les offensives alliées sur les fronts ouest ou italien furent régulièrement appuyées par 5 000 à 8 000 pièces.
Ce rôle de l’artillerie fut capital : elle infligea les trois quarts des blessures de la guerre. L’expérience sensorielle du bombardement était aussi hautement traumatique. Dès 1917, un soldat l’avait dit en quelques mots très sobres dans le petit journal de son unité : « Il n’y a rien de plus horrible à la guerre que de subir un bombardement. »
Pour autant, la violence du bombardement en 1914-1918 suscitait en quelque sorte sa propre limite : sur les champs de bataille défoncés par les obus, il était impossible de déplacer les canons, et donc de soutenir à longue distance les assauts des fantassins. En outre, même l’artillerie la plus puissante resta toujours incapable de détruire les abris creusés à grande profondeur. En revanche, en tant qu’instrument de barrage face aux assauts d’infanterie, son efficacité fut redoutable.

L'artillerie infligea les 3/4 des blessures de guerre

L'artillerie infligea les 3/4 des blessures de guerre
70 à 80 % des blessures de la Grande Guerre furent infligées par les obus, un chiffre qui met en évidence le rôle joué par l’artillerie pendant le conflit. Dans le périmètre de la chute d’un obus, les très nombreux éclats produits par l’explosion étaient d’une dangerosité extrême:
les blessés par éclat d’obus étaient souvent des « polyblessés » dont le corps se trouvait lardé de dizaines d’éclats, voire davantage. Les plus gros d’entre eux, projetés à haute vitesse, étaient capables de dilacérer n’importe quelle partie du corps humain. En cas de coup direct, les corps étaient littéralement volatilisés. L’expérience sensorielle du bombardement
était d’ailleurs hautement traumatique, comme le révèle ce texte de Gabriel Chevallier, écrit en 1930:
Les obus nous assaillirent à coups pressés,
bien réglés sur nous, ne tombant pas à plus de cinquante mètres. Parfois si près qu’ils nous recouvraient de terre et que nous respirions leur fumée. Les hommes qui riaient ne furent plus qu’un gibier traqué, des animaux sans dignité dont la carcasse n’agissait que par l’instinct. Je vis mes camarades pâles, les yeux fous, se bousculer et s’amonceler pour ne pas être frappés seuls, secoués comme des pantins par les sursauts de la peur, étreignant le sol et s’y enfouissant le visage. Nos nerfs se contractaient avec des brûlures d’entrailles et plus d’un se crut blessé et ressentit, jusqu’au coeur, la déchirure terrible que sa chair imaginait à force de la redouter.
 
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