On s'habitue à l'horreur
rideau
execution de louis XVI
La population allait, malgré tout, être vivement impressionnée par le procès et par la mise à mort du roi. Non que les débats de la Convention, ni surtout l'interminable séance de soixante-douze heures, où chaque député vint apporter son vote à la tribune, se soient déroulés dans l'atmosphère lourde te angoissée qu'on pourrait croire.
Bien au contraire, suivant Mercier qui vit la scène mieux qu'un témoin puisqu'il faisait partie de l'Assemblée, « le fond de la salle était transformé en loges où des dame, dans le plus charmant négligé, mangeaient des glaces, des oranges, buvaient des liqueurs. On allait les saluer, on en revenait. Les huissiers faisaient le rôle des ouvreuses de loges à l'Opéra. On les voyait à chaque instant ouvrir les portes des tribunes de réserve et y conduire galamment les maîtresses du duc d'Orléans, caparaçonnées de rubans tricolores.
Quoique l'on eût défendu tout signe d'approbation ou de désapprobation, néanmoins, du côté de la Montagne, l'amazone des bandes jacobines faisait de longs ha ! ha ! quand elle n'entendait pas résonner le mot de mort. Les hautes tribunes, destinées au peuple, ne désemplissaient pas d'étrangers et de gens de tout état. On y buvait du vin et de l'eau-de-vie, comme en pleine tabagie. Les paris étaient ouverts dans tous les cafés voisins. »
Il fallut que la tête royale fût tombée pour que la capitale comprît vraiment la gravité de l'acte qui venait de s'accomplir. Ce jour-là, « chacun marchait lentement en osant à peine se regarder », dira plus tard un assistant et les Révolutions de Paris, peu suspectes de tendresse pour Louis XVI, seront forcées d'avouer que « les femmes furent en général assez tristes » et que la ville prit un air morne.
l'horreur sous la terreur
De la Grande Chambre du Palais transformé en Tribunal révolutionnaire, partent ces listes de condamnations qui envoient chaque jour à la mort quarante ou soixante victimes. Dans les quarante-neuf derniers jours, plus de quinze cents têtes « tomberont comme des ardoises », pour reprendre l'ingénieuse métaphore de Fouquier-Tinville. Quelle réaction aura Paris devant ces hécatombes quotidiennes?
Un certain étonnement d'abord et de l'indifférence bientôt. A force de voir passer dans la rue Saint-Honoré des charrettes qui s'en vont à la ci-devant place Louis-XV et d'autres, dans la rue Saint-Antoine, qui roulent vers la place du Trône renversé, il s'habitue si bien au spectacle qu'il finit par le trouver normal et n'y attache pas plus d'importance qu'à un fait divers ordinaire : un imprudent qui se noie ou un cheval qui s'emballe.
Pour agir sur les nerfs de la foule, il faut que les exécutions s'accompagnent de circonstances mélodramatiques : le général Custine pleurant dans sa moustache grise et sa belle-fille se tordant les mains ; la Du Barry hurlant de peur; Camille Desmoulins secouant ses liens; Danton enflant sa voix de tonnerre; ou, le dernier jour, Robespierre ne pouvant retenir un cri de bête, quand le valet du bourreau arrache le pansement de sa mâchoire fracassée.
Voilà de quoi remuer un public que la seule vue du sang n'effraie plus. Mais, à côté de ces belles séances, combien de fournées monotones qu'on regarde d'un oeil distrait ! On s'est habitué à l'horrible. Après tant de représentations, la guillotine ne fait plus recette.
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Vivre sous la Terreur